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libérale et patriotique n’était-elle pas plus intéressée encore que nous à ce que les Autrichiens fussent écartés de Rome ? Leurs chefs ternissaient partout leur victoire par des représailles honteuses : ils confisquaient, tuaient, emprisonnaient, rançonnaient. Deux jeunes filles de dix-huit et vingt ans furent bâtonnées sur la place publique à Brescia parce qu’elles s’étaient moquées des couleurs impériales. Le commandant militaire réclama ensuite du municipe 37 florins et 7 kreutzers pour la dépense de la glace employée à soigner les plaies des victimes et pour le prix des verges rompues pendant l’exécution[1]. Maîtres de Rome, ils eussent accompli une réaction impitoyable. Quel moyen de leur en fermer la porte si ce n’est d’y arriver avant eux ? Notre abstention n’eût pas sauvé la République romaine, cernée de toutes parts, condamnée, morte avant que nos troupes se fussent mises en route. Puisqu’elle devait succomber, ne valait-il pas mieux qu’elle tombât dans nos bras amis que sous l’étreinte féroce du Croate ?

En France, les conservateurs, excellens patriotes, étaient fort touchés de l’intérêt politique ; mais, catholiques ardens, les souffrances du chef de leur religion les émouvaient encore plus. Quant aux épreuves de l’Italie, ils n’en avaient aucun souci et ils n’eussent pas donné un écu ou remué un soldat pour les adoucir. Au contraire le Président, quoique soucieux de ne pas laisser notre prestige et notre influence s’amoindrir dans ses mains, quoique pénétré de l’honneur qu’il acquérait en assurant l’indépendance de la conscience catholique par la délivrance de son Pontife suprême, désirait aussi avec passion protéger la malheureuse Italie. Il avait donc pour aller à Rome toutes les raisons qui décidaient les conservateurs, et d’autres foules personnelles qui ne les touchaient pas. Eux, pensaient surtout à restaurer la Papauté ; lui, songeait à profiter de sa restauration pour commencer l’œuvre de rénovation européenne qu’il considérait comme sa mission. En jetant une armée française sur le flanc des Autrichiens, il entendait se constituer à leur place le maître de

  1. Palmerston était indigné : « Ces Autrichiens sont vraiment les plus grandes brutes qui se soient jamais parées du nom d’hommes civilisés. Leurs atrocités en Galicie, en Italie, en Hongrie et en Transylvanie ne sauraient être égalées que par les procédés de la race nègre en Afrique et à Haïti. Leur dernier exploit, le fouet donné à Milan à plus de quarante personnes, dont deux femmes et plusieurs gentilshommes, est vraiment par trop infâme et par trop révoltant. » (A Ponsonby, 9 septembre 1849.) Peu de temps après, le principal auteur de ces infamies, le maréchal Haynau, vint visiter une brasserie de Londres. Il avait à peine, selon l’usage, inscrit son nom sur le registre que les ouvriers s’ameutèrent, hurlant : « A bas le bourreau autrichien ! » La foule se joignit à eux lorsque le maréchal, ainsi traité, sortit précipitamment de la brasserie. Le malheureux fut battu, ses habits mis en pièces ; sans l’intervention de la police, il eût été tué.