autres nations indigènes, Changos, Aïmaras ou Araucaniens, elle nous intrigue. Son origine se perd dans la nuit : on ne remonte pas plus à sa source qu’à celle des fleuves mystérieux de l’Afrique. Je renvoie les lecteurs qui s’intéresseraient à cette question, au livre admirable de Prescolt sur la conquête du Pérou. Il a écrit une étude fort complète des Indiens Quichuas, de leurs mœurs, de leurs usages et de cette royauté des fils du Soleil, dont le berceau fut une île du lac de Titicaca. Cependant il n’a pas tout dit. Je ne me rappelle pas qu’il ait mentionné ce fait extrêmement curieux, et qui m’a été confirmé par des Boliviens dignes de foi, que les Chinois n’éprouvaient aucune difficulté à comprendre la langue quichua. Un des administrateurs de Pulacayo m’avait prêté la grammaire de Nodal, dont j’ai parlé plus haut, et je me suis amusé à la feuilleter. Mais ce ne serait point trop des lumières d’un Bréal pour éclairer les origines de cette langue, et, du même coup, celles de cette race. Nos érudits se soucient peu de ce qui se passe en Amérique. Si cette page leur tombait sous les yeux, je serais heureux qu’elle les invitât à tenter une petite excursion dans les idiomes du Nouveau Monde ; et cette mine, qu’ils exploiteraient, causerait, j’ose le dire, moins de dégâts que celles d’où les actionnaires extraient de forts dividendes.
Le quichua fut la langue nationale du Pérou et des Hauts Plateaux, alors que l’empire se trouvait sous la domination des Incas. Les Indiens ne possédaient point d’alphabet : ils usaient, pour se communiquer et se transmettre leurs idées, des quipus. Le quipu était une corde d’environ deux pieds de long, composée de fils de différentes couleurs, et formant des nœuds. Les couleurs exprimaient tour à tour des objets sensibles ou des idées abstraites. Selon Prescott, le blanc représentait la paix, le rouge la guerre. Il est très difficile de s’en procurer, pour la bonne raison qu’on les a presque tous détruits. En 1853 le Concile provincial de Limaédicta que les livres traitant de choses lascives et obscènes, seraient prohibés et leurs lecteurs gravement punis par les évêques. « Les enfans, ajoutait le Concile, ne pourront pas même lire les ouvrages des anciens, si remarquables par l’élégance et la pureté de leur diction. Quant aux Indiens, ces ignorans de l’alphabet, qui au lieu de livres ont des signes — signa quædam ex variis funiculis quos ipsi quipos vocant — attendu que ces livres sont des monumens de l’antique superstition et leur rappellent des rites, des cérémonies et des lois iniques, les évêques auront soin de les détruire absolument. » Cette exécution fait un digne pendant à l’incendie des bibliothèques aztèques, lors de la conquête du Mexique. L’homme passe son temps à détruire ce que ses descendans essaieront de reconstituer.