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Au moment où nous écrivons, nous n’avons pas encore sous les yeux le texte de l’arrêt ; mais tout porte à croire qu’il est conforme aux conclusions déposées par M. Padoa, avocat des porteurs de bons, et par M. Babled, avocat de M. Bouteron, commissaire des Domaines. La consultation écrite pour ce dernier par M. Babled est un modèle d’argumentation juridique ; on ne saurait être plus précis, ni plus lumineux. Il existe donc en Égypte une magistrature vraiment indépendante : ce n’est pas la première preuve qu’elle en donne, mais celle-ci est encore plus éclatante que toutes les autres. Il était à craindre, pour ceux qui ne connaissent pas la liberté d’esprit des conseillers à la Cour d’Alexandrie, qu’ils ne se laissassent plus ou moins influencer, peut-être même d’une manière inconsciente, par des considérations de l’ordre politique. Il n’en a rien été, et ce fait est de nature à inspirer confiance, non seulement dans la magistrature mixte qui en a toujours été digne, mais encore dans tant d’autres institutions qui ont aussi en Égypte un caractère mixte, et où des élémens français se combinent avec des élémens anglais ou indigènes. Ce qui rend, malgré tout, l’Égypte si difficilement assimilable par un pays étranger, c’est que l’Europe y est partout : dans tous les services importans, figure un coefficient européen. Chaque morceau est plein d’arêtes. Gardons-nous, toutefois, de pousser trop loin cette analogie. Les fonctionnaires n’ont évidemment pas la pleine indépendance qui caractérise les magistrats et qu’ils viennent de montrer, de même que les questions administratives ne peuvent pas être résolues avec la même rigueur que les questions de droit. Il n’en est pas moins vrai que le présent, en Égypte, n’efface pas le passé, et que celui-ci, dans ce terrain fait d’alluvions, a laissé des traces et des dépôts qui persisteront encore longtemps.

Dès que l’arrêt de la Cour d’appel a été connu, la surprise et l’irritation, de la part des journaux anglais, ont été plus grandes encore que la première fois. Il y avait chose jugée définitivement ; il fallait, bon gré mal gré, en prendre son parti et s’incliner. Nul, bien entendu, n’a songé à contester la validité de l’arrêt. Le gouvernement égyptien était condamné à restituer aux réserves de la caisse de la Dette les fonds qu’il en avait indûment distraits. Soit, il les restituerait ; seulement, où les prendre ? L’Égypte n’est pas, au point de vue de ses finances, dans une situation ordinaire ; pour appeler les choses par leur nom, elle a fait faillite, et ses créanciers lui ont accordé un concordat, mais avec des conditions qui limitent étroitement sa liberté. Une partie de ses ressources est affectée au service de la Dette, une autre à ses besoins administratifs, et partout l’Europe surveille, sous des formes diverses, l’emploi des unes et des autres. On ne voit pas où le gouvernement khédivial pourrait trouver les 350 000 livres qui ont été dès maintenant dépensées sur les 500 000 que la majorité de la commission de la Dette