la grande foire de Novogorod, je passe par Moscou, et je reviens par Saint-Pétersbourg et la Baltique jusqu’à la rue des Ecuries-d’Artois. — Etes-vous prête ? je vous prends en passant, vous et les deux Hectors. Le second, en conscience, devra s’appeler Astyanax si nous visitons Troie. Si vous hésitez, nous attendrons, chère amie, que les ballons omnibus soient perfectionnés, ce qui ne peut tarder, et en trois heures nous ferons ce petit tour d’Europe et d’Asie Mineure. — La grotte de Jason et une Toison d’or, c’est bien séduisant, — Mes amis me croient toujours disponible, n’est-ce pas curieux ? moi qui suis en ce moment comme le dieu Terme, les pieds dans la terre, enfoncés jusqu’aux genoux, mais la tête ailleurs, je l’avoue, très près du ciel quelquefois ; tout le monde s’en croit près, vous savez. — Pour vous, amie, qui ne me semblez guère moins immobile, le jour n’approche-t-il pas cependant de votre entrée à Tours pour les plaisirs de l’hiver, et tout ce qu’on nomme de la sorte ? Avertissez-moi un peu d’avance, je vous prie, afin que je sache où continuer notre conversation, toujours brisée, et qui m’est toujours chère. Mon amie, vous êtes pour moi la plus charmante apparition du monde, mais en vérité bien rare.
Au Maine-Giraud, le 11 mars 1852.
Les malles étaient faites, nous partions pour Paris, lorsque votre pauvre cousine est encore devenue malade, et moi inquiet, tourmenté de cette fièvre qui revient encore sans motif, sans raison, sans prétexte, on ne sait pourquoi. Elle va et vient comme le vent, s’en retourne et reparaît. Les saignées affaiblissent et n’y font rien. Les médecins changent les noms de la maladie et vont du grec au latin sans plus de motifs aussi, je crois. Moi, je multiplie les consolations, les distractions, les lectures, les soins ; et quand tout a réussi, mon château de cartes s’écroule tout d’un coup. C’est le rocher de Sisyphe que l’on roule et qui ne cesse de retomber. Je donne de la vie et du courage à tout ce qui m’entoure, j’y dépense tout ce qu’il y a de joie naturelle et primitive dans mon caractère ; mais ensuite, quand je suis seul comme en ce moment à minuit, écrivant sous ma lampe dont la roue et les ressorts sont le seul bruit de ma solitude, la tristesse remonte à mon cœur et le serre plus fort qu’il ne faudrait. — Heureusement il y a en moi beaucoup de force, mais il ne faut pas que tout