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place. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes; et les optimistes haussent les épaules quand on parle du danger public.

Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à cette béate confiance. A nos yeux, ce qui réjouit et rassure le plus les superficiels et crédules amis de la République, c’est précisément ce qui devrait les effrayer. On enregistre avec une satisfaction naïve les témoignages d’un état d’âme qui devrait en droite raison épouvanter. Oui, je le veux, les élections, ce baromètre de l’opinion, sont au beau fixe, — à supposer, cependant, que l’infiltration graduelle d’un pseudo-radicalisme dans les régions les plus conservatrices de la France soit un phénomène à négliger. Le pays ne fait nullement mine de répondre aux incessantes excitations de ces ennemis de la République qui mettent depuis vingt ans une infatigable persévérance à prophétiser sa chute pour le lendemain. Rien ne semble l’émouvoir : ni une situation financière dont un optimisme de commande pourrait seul se dissimuler la gravité croissante, ni l’odieux ou le ridicule de ces petits Kulturkampf administratifs, jetés comme un os à ronger au fanatisme anticlérical, ni l’injustice d’une loi scolaire qui n’a pas su comprendre que la liberté de conscience est autant et peut-être plus violée par la distribution, au nom de l’État et aux frais du contribuable, d’un enseignement absolument irréligieux — quand il n’est pas systématiquement antireligieux — que par l’imposition d’un enseignement confessionnel. Peu lui importe que les réformes demeurent éternellement en route ; que la décentralisation n’ait pas fait un pas depuis le généreux effort de l’Assemblée nationale; que la vieille machine administrative, créée par Richelieu, perfectionnée par Louis XIV, remontée par Napoléon, continue à mettre au service d’un État soi-disant républicain des rouages expressément inventés dans l’intérêt d’un despotisme monarchique. Et, de fait, on a raison, les élections sont républicaines, et sauf sur quelques points isolés, grandes villes vouées au socialisme, campagnes inféodées à la tradition royaliste ou catholique, on voit sortir des urnes les noms des candidats agréables au gouvernement ou, ce qui n’est pas toujours la même chose, à ses fonctionnaires. Mais, parmi tout cela, le mal n’en fait pas moins de rapides progrès, et il est tout entier dans l’indifférence à la fois sceptique et résignée avec laquelle la masse de la nation envisage l’exercice de sa souveraineté. La fibre