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se dérober au fisc, et les valeurs étrangères auront toujours, pour échapper aux impôts français, des facilités qui manquent aux valeurs françaises. L’impôt sur le revenu des titres étrangers, s’ajoutant aux droits de timbre, aura pour effet de faire négocier les titres étrangers à l’étranger et de faire toucher les coupons au dehors. Le marché français et les maisons de banque françaises y perdront une source de revenus. Maintes affaires émigreront de Paris à Londres, à Bruxelles, à Genève : on aura déplacé, à notre détriment, le centre des transactions. Les agens de change de Bruxelles ou les brokers de Londres hériteront des dépouilles du parquet ou de la Coulisse. Nous en dirons autant des impôts sur les transactions de Bourse; ici encore, il est une limite que le fisc ne saurait dépasser, sans voir la matière imposable lui échapper. Pour faire émigrer les affaires, des marchés français, chez nos concurrens du dehors, il n’y a qu’à les rendre trop onéreuses en France. Les banquiers, les spéculateurs, les gros capitalistes déserteront la Bourse de Paris pour opérer à l’étranger ; le télégraphe et le téléphone ne sont-ils pas là pour transmettre leurs ordres?

Qu’on ne nous accuse pas de pessimisme. Si l’on songe à l’ignorance du public et aux préjugés de la foule en matière de Bourse, si l’on s’arrête aux soi-disant réformes préconisées dans la presse et dans le parlement, il est permis d’être peu rassuré sur l’avenir du marché de Paris. Encore un des organes économiques de la France moderne que menace la présomptueuse infatuation d’aveugles zélateurs du progrès.

Les gens qui se représentent la Bourse comme une maison de jeu, ouverte en plein Paris, sous l’œil bienveillant du pouvoir, sont portés à réclamer la clôture de ce tripot officiel. A leurs yeux, agens de change et coulissiers ne sont que des croupiers chargés d’enregistrer les paris et de répartir, entre les joueurs, les pertes et les gains. Certes, bien des vilenies se commettent sous les voûtes de la Bourse; on ne saurait, pour cela, la rendre responsable de tous les forfaits perpétrés à l’ombre de ses murs. Les louches escroqueries, le brigandage éhonté, les savans larcins pratiqués sous ses colonnes, la Bourse n’en est pas toujours l’inspiratrice, ni même la complice; elle n’en est souvent que le témoin; tout au plus peut-on dire qu’elle les abrite, comme l’auberge mal famée loge les malfaiteurs qui guettent le voyageur de passage. Les fraudes, les vols, les crimes que le public fait retomber sur elle,