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lui demanda de lui dire la vérité devant Dieu. « Pourquoi me le demandez-vous devant Dieu? lui dit le prince avec emportement. Eh bien! puisque vous me le demandez ainsi, je ne puis pas vous désavouer que j’ai fait telle chose[1]. » A partir de cette date, la transformation qui s’était opérée chez le duc de Bourgogne frappa toute la cour : « Depuis la première communion de M. le duc de Bourgogne, écrivait Mme de Maintenon, nous avons vu disparaître peu à peu tous les défauts qui, dans son enfance, nous donnoiont de grandes inquiétudes pour l’avenir. Ses progrès dans la vertu étoient sensibles d’une année à l’autre. D’abord raillé de toute la cour, il est devenu l’admiration des plus libertins. Il continue à se faire violence pour détruire entièrement ses défauts. Sa piété l’a tellement métamorphosé que, d’emporté qu’il étoit, il est devenu modéré, doux complaisant. On diroit que c’est là son caractère, et que la vertu lui est devenue naturelle. »

Nous compléterons ces témoignages de cour, toujours un peu suspects d’exagération, par celui d’un étranger, l’envoyé extraordinaire de Brandebourg, Ezechiel Spanheim, dont une intéressante Relation de la Cour de France a été publiée, ces dernières années : « Le duc de Bourgogne est le prince de la plus grande espérance qu’il y ait jamais eu; qui, dans un corps délicat que l’âge peut rendre robuste, a un esprit d’une vivacité, d’une étendue et d’une ambition extraordinaire. Avec cette vivacité, il est taciturne, partie rare dans un même sujet. Non seulement il s’élève de lui-même à la connaissance de toutes les sciences, comme les langues, la philosophie, les mathématiques, mais, ce qui est important, à la connaissance de l’histoire ancienne et moderne, à la connaissance des secrets des princes, et fait la lecture de Tacite dans l’original latin, et, ayant la mémoire heureuse, fait des progrès surprenans dans tout ce qu’il veut apprendre. Il a méprisé tous les jeux, les divertissemens des enfans, pour s’enfermer dans son cabinet, enrichi d’une bibliothèque choisie, d’instrumens de mathématique, de cartes de géographie, de plans

[2] [3]

  1. Lettre de Fénelon au Père Martineau, Œuvres complètes, t. VIII, p. 123.
  2. Proyart, t. I, p. 52. Proyart ne dit pas à qui cette lettre de Mme de Maintenon aurait été adressée.
  3. Relation de la cour de France. Appendice, p. 390. Sur la date de ce portrait et sur la question de savoir s’il est bien de Spanheim et s’il ne serait pas plutôt d’Erizzo, l’ambassadeur vénitien, consulter la savante introduction de M. Schefer, p. 49.