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et il se sent odieux et ridicule. « Ratée, notre rupture! misérablement ratée ! » Et il s’en va, parce qu’après tout il faut bien s’en aller...

Je ne puis vous dire ici que le dessein de la scène. Elle vaut par la minutieuse, singulière et souvent inattendue vérité des détails. Et le plus remarquable, c’est que M. Renard a su nous faire sentir, dans cette rupture médiocre de deux amans ordinaires, l’infinie et inévitable tristesse de toutes les ruptures, même de celles qui délient ceux qui ne s’aiment plus.

L’auteur de Poil de Carotte, de l’Écornifleur, du Vigneron dans sa vigne, des Histoires naturelles et des Bucoliques est un observateur aigu, un ironiste miséricordieux, un écrivain concis et pittoresque et qui a même inventé des métaphores et des comparaisons ! Je serais charmé que le grand succès du Plaisir de rompre fit connaître le rare mérite de M. Jules Renard à tous ceux qui ne s’en étaient pas encore avisés.

Le Plaisir de rompre est merveilleusement joué par Mme Jeanne Granier et M. Henry Mayer. Il se pourrait que nulle de nos comédiennes (et je songe aux plus grandes) n’eût, dans son jeu, autant de sincérité et de simplicité que Mme Jeanne Granier : je crois qu’on s’en apercevra de plus en plus.


Lucien Biart avait été critique dramatique, et il appartenait à cette Revue : j’ai donc deux raisons de lui dire adieu. Mais ma vraie raison, c’est que j’aimais et estimais singulièrement ce parfait honnête homme, si candide et si doux. Il y avait, dans son caractère et dans son talent, quelque chose d’autrefois, du meilleur « autrefois ». Ses impressions de voyages et ses nouvelles mexicaines méritent de ne pas être oubliées; mais, au reste, ses jolies histoires enfantines seront lues longtemps encore par les petits enfans de France.


JULES LEMAITRE.