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la chaussée qui prolonge ce pont, enfin, cadeau plus longtemps différé, l’université Saint-Vladimir.

« J’aime qu’on se conforme aux vieux usages », disait-il en voyant les moines du Pétchersk distribuer la bouillie aux pèlerins mendians. Les fresques qui ornent l’église de l’Assomption avaient été restaurées par son ordre ; mécontent du travail, il s’en taisait cependant, et ne souriait pas même quand, après l’office, le métropolite Philarète lui présentait un groupe de peintres :

— Sire, ce sont les frères qui ont refait les tableaux de l’église.

— Bien. Mais qui donc leur a montré la peinture ?

— Sire, c’est la mère de Dieu.

— En ce cas, répondit l’Empereur, je n’ai rien à dire.

Si le don pictural nous vient droit du ciel, Philarète tenait pour infernale l’idée de la sculpture. Il refusa opiniâtrement de consacrer le monument élevé à saint Vladimir ; des portraits, tant qu’on voudrait, mais des statues, jamais ; on faisait une idole de celui-là même qui avait détruit les idoles. Tenant ainsi tête à l’Empereur, — les faibles seuls ont de ces hardiesses, — il lui fit un jour une de ces fines réponses qu’il n’est que les pauvres d’esprit pour inventer. On inaugurait les fameuses fortifications du Pétchersk ; Nicolas rayonnait devant son œuvre achevée.

— Eh bien, Vladyko ! avons-nous bien défendu tes Images ?

— Non, sire, répondit le bonhomme ; car ce sont mes Images qui défendront votre forteresse.


IV


Le Mercredi Saint.

À Dieu ne plaise qu’on voie un jour ce terrible épisode, la défense des Images de Kief. Mais Philarète disait vrai : toute énergie militaire, toute cohésion nationale trouvent ici leur cause dans la croyance religieuse.

Les empereurs ont senti de bonne heure la puissance du levier moral que l’orthodoxie pouvait mettre entre leurs mains, Pierre le Grand tout le premier, dont les plaisanteries sur le « très bouffon synode », dont les ordonnances politiques ou somptuaires contre le patriarcat ou l’épiscopat exprimaient bien autre chose que de l’irrévérence ; elles révélaient le ferme dessein d’assujettir un pouvoir respectable par sa force et dangereux par son autonomie. De Maistre use quelque part de cette comparaison : « L’église catholique