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hommes qui ont dirigé la Marine devaient admettre l’hypothèse de la guerre contre la triple alliance et s’y tenir ferme, comme le faisait le gros de la nation dans son honnête et naïve conception des plus nobles, sinon des plus tangibles intérêts de notre pays. Or, il a bien fallu l’avouer récemment, un vigoureux effort est nécessaire si nous prétendons désormais lutter avec quelque avantage contre les escadres réunies de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Autriche. Et comment en serait-il autrement, puisque, depuis 1890, ces trois puissances ont mis en service 47 navires déplaçant 160 000 tonnes, tandis que notre flotte ne s’augmentait que de 22 unités déplaçant 144 000 tonnes ?

De l’hypothèse d’une guerre contre l’Angleterre, et surtout de ce qu’il eût fallu faire depuis dix ans pour parer à ce grand péril, on n’ose même pas parler. Car, pour lutter sans trop de chances défavorables contre un tel adversaire, il ne s’agissait plus seulement de construire beaucoup de vaisseaux, — il en construisait le double et les construisait plus vite ; — ni même de porter au dernier degré de perfection des types déjà connus, — qu’importe une légère infériorité individuelle de ses unités de combat à qui dispose d’une écrasante supériorité numérique ? — Il s’agissait de tendre tous les ressorts d’un génie inventif, d’un esprit d’initiative hardie, fertile en ressources inattendues, détaché des lentes routines et des vaines formules. Il s’agissait d’adopter des méthodes de guerre nouvelles et, pour servir ces méthodes, de créer rapidement des engins appropriés : « d’être toujours en avance d’un type », comme nous l’étions, il y a trente ou quarante ans. Il fallait, en un mot, faire autrement et mieux que l’Angleterre.

Eh bien ! cela était-il possible, et cela fut-il tenté ?… Qu’était devenu ce génie inventif, si brillant autrefois, et envié par l’étranger ? L’avait-on encouragé ? Qui oserait le dire, quand on voit, — un exemple entre tant d’autres, — une invention comme celle des sous-marins, si redoutée des Anglais, entravée dans son développement naturel par le dédain des uns et par les jalousies des autres ?

Qu’était devenu cet esprit d’initiative et de réforme dans toutes les branches du service que montraient des hommes comme les Choiseul, les Suffren, les Granchain, les Portai, les d’Haussez, les Trotté de la Roche, les Labrousse, les Gueydon, dans un temps où le pire reproche que l’on puisse faire à un