pour titres Mathilde, le Jeu d’échecs, Nirwana et Anarchisme, nous devinons aussitôt que sous Hugo Aylva se cache M. Louis Couperus, que Mathilde est là pour désigner Eline Vere, le Jeu d’échecs pour désigner Fatalité, que le véritable titre de Nirwana est Extase, et que les deux parties d’Anarchisme s’appellent en réalité Majesté et la Paix du monde.
Mêmes sujets, mêmes tendances, même suite : l’identité est complète entre les livres du héros et ceux de l’auteur. Après tant de vies fictives de bourgeois et d’empereurs, de jeunes filles sentimentales et de jeunes femmes mal mariées, c’est sa propre vie que M. Couperus a entrepris de nous faire connaître ; et en cela encore il a suivi, sans doute à son insu, un instinct qui lui est commun avec un très grand nombre d’autres romanciers. Je pourrais citer au moins six romans en cours de publication qui sont, de même que le sien, des autobiographies à peine déguisées : l’une paraît en Russie, une autre en Angleterre, une troisième en Danemark, trois paraissent en France, sans compter celles qui ont paru les mois passés ou que nous allons voir paraître dès le mois prochain. C’est comme si, en même temps que leur besoin de changement les dépouillait de leur personnalité, les jeunes auteurs eussent perdu aussi toute force d’invention : incapables désormais de rien imaginer, et trop heureux d’avoir quelques souvenirs qu’ils puissent étaler devant nous. Il y en a bien parmi eux qui, très noblement, s’efforcent de donner à leur récit une portée générale, et de tirer une leçon des menus faits qu’ils racontent. Mais ces faits n’en sont pas moins les faits de leur propre vie, clairement, ouvertement présentés comme tels. Et l’on n’en est pas moins tenté de croire à une sorte de faillite de l’imagination créatrice, devant cet accord des romanciers à se prendre eux-mêmes pour héros de leurs livres.
A y réfléchir, cependant, ce phénomène littéraire ne vient pas uniquement, peut-être, d’une subite décroissance de l’imagination. La vraie cause en est plutôt d’ordre moral ; c’est l’habitude qu’on a acquise de penser à soi, de croire qu’on pouvait se connaître mieux que les autres, ou même qu’on ne pouvait connaître que soi. M. Couperus en particulier, pour nous en tenir à lui, ne manque certainement pas du pouvoir d’inventer ; il excelle au contraire, — chacun de ses romans précédens nous en est la preuve, — non seulement à imaginer des personnages vivans, mais à substituer leur vie à la sienne, à ressentir leurs émotions et à penser leurs pensées. Mais avec tout cela il s’est accoutumé à admettre que son âme était la seule où il pût pénétrer ;