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vulgaires et un ton particulier, — ou par des incidens singuliers et un ton ordinaire — ou par une égale singularité de ton et d’incidens ; — et puis je cherche autour de moi, ou plutôt en moi-même, les combinaisons d’événemens ou de tons qui peuvent être les plus propres à créer l’effet en question[1]. »

Tous ceux qui ont lu le Cœur révélateur savent que l’effet à produire est ici la terreur, et que Poe a su la porter au degré d’intensité où elle devient pénible. On n’oublie plus les angoisses du vieil homme qu’un mouvement de l’assassin a réveillé et qui s’est dressé sur son lit en criant : — « Qui est là ? » — L’assassin s’arrête. Il reste complètement immobile pendant une heure entière, et le vieillard est toujours sur son séant, aux écoutes, paralysé par la terreur et exhalant dans les ténèbres le gémissement « sourd et étouffé qui s’élève du fond d’une âme surchargée d’effroi… La Mort qui s’approchait avait passé devant lui avec sa grande ombre noire… Et c’était l’influence funèbre de l’ombre inaperçue qui lui faisait sentir, — quoiqu’il ne vît et n’entendît rien, — qui lui faisait sentir la présence de ma tête dans la chambre. »

Edgar Poe se complaisait aux effets de terreur, sachant bien qu’il y excellait. Il en a qui semblent empruntés à de monstrueux cauchemars. Rappelez-vous l’épouvante de l’assassin, dans le Chat noir, lorsqu’il entend sortir du mur le miaulement du chat, muré par mégarde avec le cadavre : « — Une voix me répondit du fond de la tombe ! — une plainte, d’abord voilée et entrecoupée, comme le sanglotement d’un enfant, puis, bientôt, s’enflant en un cri prolongé, sonore et continu, tout à fait anormal et anti-humain, — un hurlement, — un glapissement, moitié horreur et moitié triomphe, — comme il peut en monter seulement de l’Enfer, — affreuse harmonie jaillissant à la fois de la gorge des damnés dans leurs tortures, et des démons exultant dans la damnation. » — Il en a d’un raffinement barbare. Rappelez-vous, dans la Chute de la maison Usher, ce frère qui a enterré sa sœur vivante, qui entend ses efforts pour briser sa bière, et qui reste cloué sur son siège par une peur au-dessus de la raison humaine. — Il en a aussi de grossiers, qui s’en prennent à nos nerfs, dans le Puits et le Pendule par exemple, où un

  1. The Philosopha of Composition. Baudelaire a traduit ce morceau sous ce titre : La Genèse d’un poème, et l’a placé à la fin du volume de contes intitulé : Histoires grotesques et sérieuses.