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Nicod et Christian de Chateaubriand. Cette exaltation une fois dissipée, il n’hésita plus sur sa véritable vocation. Ses parens désiraient qu’il entrât au Conseil d’État ; Cambacérès, Regnault de Saint-Jean-d’Angely assuraient une admission facile. On tint une sorte de conseil de famille où l’on n’avait oublié qu’une chose : consulter l’intéressé. Aux premières ouvertures il signifia tout net qu’il serait avocat. « Je ferai comme mon père », dit-il. Au lieu d’un grand prédicateur ou d’un jurisconsulte, on eut un grand orateur et un grand avocat.

Il avait étudié la botanique, la minéralogie au Jardin des Plantes avec Desfontaines et Haüy, il suivait des cours d’éloquence au Collège de France, prenait des répétitions de droit avec un ancien député à l’Assemblée constituante, et, soit dans l’étude de M. Normand, avoué auprès du tribunal de la Seine, soit dans le cabinet de son père, il expédiait à lui seul la besogne de quatre clercs. Je rappelle ces détails parce qu’ils font comprendre ce qui se cache derrière les facultés d’improvisation qu’on lui prête, à lui et à ses émules. Un coup de bistouri, un coup d’archet ne représentent-ils pas trente ans de clinique, d’expérience accumulée ? « Savez-vous le secret des improvisateurs, écrivait-il à une amie : c’est qu’ils n’improvisent pas du tout. Bien pénétrés d’une pensée, d’un sentiment longuement médité en leur cervelle, ils se sont dit vingt fois, cent fois la même chose, et, l’occasion venue où ils l’expriment à haute et intelligible voix, ils n’ont de mérite dans la vivacité de l’expression, que par la maturité de la réflexion. Voilà le secret des gens qui parlent en public. Pour moi, qui suis du métier, je ne saurais dire ce que je n’aurais jamais pensé. » Plaidoyer ou discours, Berryer prépare fortement le fond, sinon la forme, car celle-ci laisse singulièrement à désirer : ses conversations, ses agendas, ses notes, les lettres qu’il recevait et classait avec soin, nous édifient pleinement sur sa méthode de travail. Il commence par chercher dans cette sorte de fonds commun, dans l’arsenal de son érudition, tout ce qui a trait au sujet ; puis, faisant appel aux spécialistes, aux documens particuliers, il précise, se concentre, construit le plan de son discours, jette sur le papier ses idées : de-ci, de-là quelques morceaux à effet, souvent la péroraison, jamais l’exorde. Est-ce pour ce motif qu’au début sa parole semblait hésitante, que souvent les phrases se traînaient, lourdes, décolorées ? Et cependant, il aurait cru, s’il avait écrit l’exorde, avoir aux pieds des semelles