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pour le retenir au bord de l’abîme, s’écria : « Vous m’effrayez ! Vous me dominez ; mais ce qui m’épouvante, c’est que vous, rien ne vous domine, vous n’avez plus aucune autorité qui vous domine ; vous serez chef de secte ! » Et, en 1835, après les Paroles d’un croyant, il lui rappela la prophétie de 1822 : ils discutèrent pendant de longues heures, Lamennais soutenant qu’une révolution s’était accomplie dans son esprit, Berryer affirmant qu’il n’avait pas renié son caractère, puisqu’il demandait maintenant aux peuples de mettre le pied sur la tête du pape et de ces rois, coupables de ne point adopter ses idées. Comme ils s’étaient montré leurs âmes et qu’il y avait entre eux de l’ineffaçable, l’amitié survécut ; plusieurs fois Berryer prit la parole pour Lamennais devant les tribunaux, mais les entrevues devinrent plus rares à mesure que le prêtre s’enfonçait dans l’orgueil de son schisme. « Il est, soupirait son ami, comme un livre dont on admire toujours quelques pages, en gémissant sur quelques lignes. »

Cette popularité, ce crédit précoce dont jouissait Berryer, il les dut pour une part aussi au rôle qu’il jouait dans la Société des bonnes Lettres et surtout dans la Société des bonnes études, toutes deux fondées par quelques chefs du parti royaliste, afin de grouper la jeunesse dans des réunions scientifiques, littéraires et artistiques, et. par elle, d’opposer, comme on disait dans le style du temps, une digue au torrent des idées libérales et révolutionnaires. Toutes deux se rattachaient étroitement à la Congrégation[1], cette puissance occulte qui n’existait pas moins que le Comité directeur, malgré les efforts des intéressés pour faire croire qu’ils étaient de pures imaginations. La Société des bonnes études offrait d’ailleurs aux familles chrétiennes des avantages assez sensibles : pension, bibliothèque, jeux, prix d’éloquence et de poésie, conférences et cours par MM. de Haller, Abel Rémusat, le docteur Meyriaux. Berryer et Hennequin venaient tour à tour présider les séances bimensuelles ; plus exact, plus égal, mieux préparé dans ses leçons, Hennequin avait plus de succès que son confrère. Pauvre Hennequin ! Son maiden-speech à la Chambre, quelques années plus tard, lui attira un lamentable échec. Il

  1. « La congrégation existait si bien, observe un écrivain royaliste, M. Armand de Pontmartin, qu’elle a été particulièrement funeste à la monarchie : elle nous apparaissait, dans nos collèges ou sur les bancs de l’École de droit, comme le symboIe de la fâcheuse alliance entre le trône et l’autel, et aussi comme un moyen de parvenir à l’usage des hypocrites et des intrigans... » Armand de Pontmartin, Nouveaux samedis, t. VI.