Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
688
REVUE DES DEUX MONDES.

Cela n’empêche pas son livre d’être fort intéressant. Mais il a tort de croire que les futurs biographes du grand homme trouveront dans ce répertoire de pièces des documens aussi instructifs que précieux, qu’ils pourront utiliser en sûreté de conscience, Les dépêches, les lettres recueillies par lui sont certainement authentiques, mais la plupart sont insignifiantes, et les remerciemens adressés par l’illustre ermite à telle ville d’Allemagne, qui venait de lui conférer la bourgeoisie d’honneur, ne nous apprennent rien : les grands hommes eux-mêmes ont peine à mettre une sauce nouvelle et piquante à ce genre de complimens. Les articles de journaux sont beaucoup plus curieux, et il en est dans le nombre de fort remarquables ; mais M. Penzler convient que le prince n’écrit jamais, qu’il se contente de fournir aux journalistes les idées maîtresses, un canevas, qu’ils brodent à leur façon ; il se réserve le droit de les désavouer, de certifier qu’ils ont mal pris sa pensée.

Le journal que M. de Bismarck favorise le plus souvent de ses confidences, avec lequel il est en étroit commerce, les Nouvelles de Hambourg, nous a avertis à plusieurs reprises que sa rédaction seule répond des articles, que s’il est permis de les trouver déplaisans, il est défendu de les imputer à celui qui passe pour les inspirer. À l’égard des entretiens de M. de Bismarck avec les interviewers auxquels il daigne s’ouvrir, le même journal nous apprend que les communications qu’il leur fait dépendent de son humeur du moment, du temps qu’il fait, de l’état de sa santé, de certaines circonstances dont il tient compte, et aussi de la personnalité de ces faiseurs de questions, de leur manière de l’interroger, et du sujet sur lequel ils l’interrogent. Ce qui est encore plus vrai, c’est que le tour qu’il donne à ses longues causeries dépend surtout de ses convenances personnelles, de l’intérêt que, dans tel cas donné, il peut avoir à s’expliquer ou à se dérober.

Si abondans que soient les documens et les matériaux qu’on leur prépare, ses futurs biographes ne pourront se dispenser d’avoir le don de divination, et ils le jugeront sur ses actes plus que sur ses paroles. Il est dangereux de se fier à ses discours, il est dangereux de s’en trop défier. Traitant les hommes avec un souverain mépris et préoccupé cependant du jugement de la postérité, tour à tour il prend plaisir à braver l’opinion ou il s’applique à la séduire. Tantôt il pousse la franchise jusqu’au cynisme, tantôt il s’enveloppe dans des voiles impénétrables et, pour employer une de ses expressions, on ne l’aperçoit plus qu’au travers « d’un mur de brouillards. » Mais en toute occurrence, il n’a jamais dit que ce qu’il lui convenait de dire.

On se propose d’employer la radiographie à découvrir les marchandises