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soient différens ; et enfin à celui où le mot est exactement le même et où les deux sens sont rattachés à la même forme verbale. Nous pouvons, d’autre part, suivre, pour les sens, une série analogue à celle des sons et voir les sens primitivement très séparés se rapprocher peu à peu, se confondre en partie et s’identifier presque. Le dernier terme de la série nous sera donné à peu près par les allusions où, les mots restant exactement les mêmes, les sens ne changent guère, où, seulement, un sens applicable souvent dans une seule occasion et qu’on vise particulièrement vient se joindre à l’autre. L’épigramme de Racine sur le duc de Créqui nous donne bien par son dernier vers :


Si quelqu’un l’entend mieux, je l’irai dire à Rome


le modèle du procédé. Rien n’est plus éloigné du calembour grossier, et cependant on y retrouve le procédé du jeu de mots, Rien aussi n’est plus rapproché du langage simple et normal. Rappelons-nous encore que les sons que nous entendons ne sont jamais identiquement les mêmes ; que ce que nous appelons « un mot » c’est une abstraction qui représente des milliers de prononciations ou d’écritures différentes variant avec le timbre de la voix, l’accent, l’époque, les habitudes prises, le degré d’instruction, et dont sûrement il n’est pas deux qui soient pleinement identiques. Il en résulte que, lorsque nous comprenons un mot, nous l’interprétons à l’aide de souvenirs qui ne lui ressemblent pas absolument et il se produit quelque chose de ce qui se passe lorsque nous saisissons un calembour par à-peu-près. La preuve en est que nous entendons parfois mieux un de ces calembours faits par une personne dont la voix nous est familière qu’un mot connu prononcé par une personne dont la voix nous surprend. Le son d’un mot est indéfiniment variable ; il change avec le temps, le milieu, l’état social, et simplement avec l’usage que nous en faisons. Faut-il ajouter que le sens varie, comme le son, d’une personne à l’autre, qu’on n’attache jamais le même sens au même son, mais bien des sens à peu près analogues à des sons qui se ressemblent, et qu’on ne se comprend jamais que grossièrement ? Si l’on suit ces rapprochemens successifs du calembour et du langage, et si, comme disent les mathématiciens, on passe à la limite, je ne dis pas qu’on se représentera le langage comme étant en fait une méprise perpétuelle, et, en principe, un calembour continuel ; mais je crois que nous reconnaîtrons l’identité de la force