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chiffres officiels nous donnent pour les six écoles nationales et régionales (Grignon, Grand-Jouan, Montpellier, Horticole de Versailles, Industrie laitière de Mamirolle, Industries agricoles de Douai) le chiffre effrayant de 595 (chiffre rond, 600). C’est en effet chose effrayante de voir que la principale industrie du pays, celle d’où dépendent son bien-être, sa force, sa vie, n’entretient dans les régions élevées de la science agricole que 800 intelligences officiellement reconnues, pendant que l’étude du droit en absorbe 8 776, la médecine 7 728, la pharmacie 2 653, et la candidature aux licences de lettres et de sciences : 5 032, — en tout 24 194. Ces chiffres sont ceux de 1893. Ils ont augmenté depuis. Qu’est-ce que 800 comparés à 24 000 ? Cette énorme majorité des intelligences détournées de ce qui constitue le fonds et le tréfonds de l’intelligence française ne saurait être le signe d’un équilibre bien ordonné. Depuis longtemps il a frappé tous les bons esprits, même et surtout ceux qui arrivés au pouvoir se sont sentis désarmés pour y porter directement remède. « Directement », disons-nous, car « indirectement » ils le pourraient. Il suffirait de rendre à l’enseignement libre les libertés qu’on lui a ravies, au lieu d’accumuler autour de lui des obstacles et des embûches.


III

Le modèle le plus parfait de l’éducation agricole au second degré, c’est l’Institut agricole de Beauvais. L’Institut de Beauvais est une école libre, dirigée par les frères de la doctrine chrétienne. Il ne possède pas les richesses scientifiques de Grignon, ni les abondantes ressources que les écoles nationales puisent au budget et dans un prix de pension élevé[1]. Il n’a pas pour faire ses cours ces illustres savans dont la grande autorité n’est jamais en défaut et dont le nom est connu dans l’univers entier. Je ne pense pas que ses professeurs de mathématiques ou de chimie se soient jamais signalés par de brillantes découvertes ni même qu’ils en aient recherché la gloire. Tout s’y passe en famille et sous le règne d’une discipline qui n’a rien, paraît-il, de répugnant, car élèves et maîtres vivent ensemble d’une vie facile et calme, — d’une vie gaie, ce qui peut paraître étrange aux prisonniers de nos lycées. Appelé par la Société des Agriculteurs de France à l’honneur de faire partie du jury d’examen de sortie, la première remarque qu’il m’a été donné de faire, c’est que l’affection des élèves pour leurs maî-

  1. Le prix de la pension à Grignon est de 1 200 fr. Il est de 1 000 fr. à Grand-Jouan et à Montpellier.