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avec toutes ses écoles de village, serait évidemment en mesure de répondre à ce besoin. Mais devant la nécessité d’introduire des réformes dans les méthodes anciennes, de combattre des routines invétérées, d’enseigner la pratique des instrumens perfectionnés et l’emploi encore bien récent des engrais chimiques, l’instituteur rural est désarmé : il ne peut pas enseigner ce qu’on ne lui a pas appris et n’a pas autorité pour le faire. Nous touchons ici le vif de la question. On aura beau fonder des écoles d’enseignement supérieur pour l’agriculture, établir dans toute la France un enseignement secondaire agricole muni de toutes les richesses de la science, intellectuelles et matérielles, on ne parviendra pas, dans un pays où le sol est singulièrement divisé, à faire pénétrer les notions nouvelles dans la masse des petits cultivateurs, de ces petits propriétaires de parcelles qui n’occupent peut-être pas la plus grande partie du sol cultivé, mais qui n’en sont pas moins les ouvriers agricoles par excellence, le nombre et les bras.

Les bonnes méthodes et la science iront chez les grands propriétaires, chez les gros fermiers, chez ces agriculteurs qui remuent chaque année jusqu’à 500 hectares de la surface du sol et entretiennent des centaines de têtes de gros bestiaux ; elles ne descendront pas jusqu’à cette population rurale si nombreuse encore, si digne d’intérêt, et qui fait le fond solide de la nation. La lèpre de la misère s’étendra sur les petits champs stériles.

Il faut avoir vu de près ces choses pour en parler utilement. La Bruyère, dont on cite toujours les paroles amères à propos des paysans d’autrefois, — qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait pas même entrevus du fond de son cabinet, — aurait beau jeu pour enluminer ses peintures s’il allait de nos jours visiter certaines contrées autrefois très riches, devenues pauvres aujourd’hui et délaissées. Où sont allés les hommes ? À l’usine, à la ville. Où sont allées les femmes ? À l’usine, à la ville. Où finiront-ils leurs jours ? À l’hôpital. C’est l’exception, dira-t-on ! N’est-ce pas déjà trop qu’en notre temps, devant ces prodigieuses découvertes qui nous éblouissent et nous font perdre un peu de vue la réalité des choses, il puisse se rencontrer quelque part des exceptions pareilles ? Les grands savans ne peuvent rien pour combattre cette plaie sociale s’ils ne sont secondés par les petits savans munis d’un bagage léger mais pratique.

Ces vérités ont été pressenties depuis longtemps, non seulement par des esprits supérieurs comme Léonce de Lavergne, mais par d’humbles éducateurs du peuple. Dès 1833, l’abbé de Lamennais, le frère de l’illustre, fondait à Ploërmel une nouvelle congrégation religieuse pour