Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/930

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

LES VOYAGES DE MONTESQUIEU[1]

Montesquieu a pris beaucoup de notes, ayant beaucoup vu et beaucoup lu, réfléchi sur toute sorte de sujets, voyagé à travers les pays et à travers les livres. Il n’a eu garde de les publier, puisque c’étaient des notes. Embryons d’idées, résumés de lectures, souvenirs fixés à la hâte sur le papier, il pensait que tous ces matériaux n’avaient pas de valeur par eux-mêmes et n’existaient qu’en vue de l’édifice qu’ils serviraient à construire. Comme d’ailleurs il en avait tiré l’Esprit des lois, il avait quelque raison de se croire en règle avec la postérité. Il s’abusait. Il ne prévoyait pas le goût que nous avons pour les petits papiers des grands écrivains et les brouillons des grandes œuvres. On a commencé la publication des « inédits » de Montesquieu ; et journaux, agendas, extraits, on nous donnera peu à peu tout ce que contiennent les malles du château de la Brède. Pour ces sortes de publications posthumes deux cas peuvent se présenter. Ou l’écrivain, soucieux d’étaler son intimité, a tenu registre des particularités de sa vie ; et alors la publication est de nature à piquer la curiosité précisément parce qu’elle a un caractère scandaleux. Ou l’écrivain, par une juste conception de sa dignité, s’est refusé à rédiger ses confidences ; ses carnets ne lui ont servi que pour préparer ses livres. Et alors nous demandons : Puisque nous avons les livres, à quoi bon les carnets ? Est-il besoin de dire dans laquelle de ces deux catégories nous rangeons la publication des papiers de Montesquieu ? Dans un siècle que

  1. Voyages de Montesquieu, publiés par le baron Albert de Montesquieu, 2 vol. (Paris, chez Alph. Picard ; Bordeaux, chez Gounouilhou).