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estiment trop théorique, trop peu concrète, l’instruction donnée dans ces écoles ; les éplucheurs de statistiques observent que les jeunes gens qui les fréquentent sont, la plupart du temps, fils d’ouvriers, de négocians, de chétifs bourgeois, que les fils de cultivateurs, surtout de propriétaires, y sont la minorité, et que ces écoles, ainsi, risquent de fabriquer des dilettanti de la carrière agricole, et peut-être des déclassés (spostati) au lieu de confirmer et d’éclairer des vocations innées d’agriculteurs ; elles ont, enfin, des amis ambitieux, qui déplorent que les diplômes de sortie ne donnent point accès immédiat dans les écoles secondaires d’agriculture. Tous, en un mot, reconnaissent les bonnes intentions de l’Etat, et tous avouent que ces écoles, jusqu’ici, n’ont pas suffisamment répondu à leurs promesses. Naturellement rétif aux nouveautés, le paysan des Calabres, comme son voisin de Sicile, objecterait volontiers l’expérience de ses pères, l’antichi, lu patri, aux expériences auxquelles le convie l’Etat : c’est aux grands propriétaires qu’il appartiendrait, par de lentes et douces suggestions, de le rendre novateur et d’être auprès de lui les émissaires du progrès.

Mais comment le progrès ne serait-il pas suspect, ayant été parfois l’avant-coureur de ruines ? Tels possesseurs, légitimement préoccupés d’accroître la valeur de leurs terres, ont mérité les plaintes injurieuses des régions avoisinantes. Ils cédaient à la fureur du déboisement, ouvraient des brèches dans les verdoyantes ogives que dessinaient entre eux les innombrables arbres de la Sila, disloquaient ces architectures de forêts que la nature, merveilleuse ouvrière en art gothique, semblait avoir édifiées pour les siècles par-dessus l’ingrat littoral jonché des ruines de l’art grec.

Quelques années s’écoulaient, et déjà se déchaînaient les châtimens ordinaires du déboisement ; des torrens, brusquement formés, s’abandonnaient à un vagabondage destructeur ; les troubles miasmatiques se multipliaient dans les régions subjacentes ; les éboulemens, facilités par la calvitie des cimes, menaçaient les populations, et parfois les surprenaient. On constatait avec désespoir, dans la seule province de Cosenza, que les eaux thermales de Guardie Piemontese étaient en partie ensevelies sous les décombres des hauts sommets ; qu’aux environs de Lungobucco le torrent Trionto prodiguait les ravages ; que les éminences surplombant Longobardi étaient proches de s’effondrer et que l’accumulation des eaux, n’étant plus désormais ni