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lorsque les Prussiens se retirèrent de la coalition. Comme en ce temps-là, il restait à battre les Autrichiens et à réduire les Anglais. La campagne de Moreau en Allemagne, celle de Bonaparte en Italie, le congrès de Rastadt, le projet de descente en Angleterre et le grand dessein de coalition du continent contre les Anglais étaient à recommencer, si l’on voulait la paix dans les conditions où on l’avait esquissée à Campo-Formio et rédigée à Rastadt. Or, on n’en concevait pas d’autres : les limites naturelles, avec leurs garanties et leurs avant-postes : la Hollande, la Suisse dépendantes, l’Allemagne réformée et transformée, le Piémont assujetti ou réuni, l’Italie divisée en républiques, arrachée des mains de l’Autriche, et la France dominant la Méditerranée.

Tout le monde ne discerne point les conditions et les conséquences de la conquête des « limites » ; mais à part les financiers, partisans de la paix à tout prix, à part Talleyrand qui continue, timidement, à professer dans le vide les doctrines qu’il insinuait, en 1792, à Danton, personne en France n’entend, sans la frontière du Rhin, la paix républicaine. Quant à l’abandon de l’Italie, de la Hollande, de la Suisse, ceux mêmes qui n’y verraient pas un péril pour les « limites », y verraient une honte, une renonciation à la suprématie légitime de la République, prix et sanction de ses victoires. Plus que jamais ces mots : monarchie, contre-révolution, anciennes limites, se confondent. « Pour obtenir la paix, écrivait La Revellière dans un mémoire apologétique du Directoire, il faudra, sans doute, évacuer l’Egypte et la Syrie ;… il faudra indemniser la Porte, les beys, les mameloucks !… Il faut de suite évacuer Malte et abandonner l’Italie, la Suisse et la Hollande, renoncer à tout projet de limites naturelles, restituer tous les pays réunis, nous renfermer dans les anciennes limites de la France et rappeler le prétendant ! »

Donc la guerre et encore la guerre, et, dès le printemps, « la porter jusqu’au cœur de l’Allemagne et reconquérir l’Italie. » C’est le plan que développe le ministre qui a remplacé Bernadotte à la Guerre : Dubois-Crancé. Mais, reportant ses regards sur l’intérieur, ce conventionnel en qui survivait la vieille énergie des comités, ajoute aussitôt[1] : « Au milieu des plus brillans succès qui, s’ils étaient continus, assureraient à la République une paix prompte et glorieuse, je ne dois pas vous dissimuler que la

  1. Iung, Dubois-Crancé, t. II. Mémoire du 24 octobre 1799.