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ciel et de la terre, — Je m’émerveille que Dieu vous ait faits miens — Car c’est quand il me frappe[1] que vous brillez le plus.


Cette tendresse profonde, fut vouée, au mois de décembre 1867, à une charmante Géorgienne, miss Mary Day, par ce malade de vingt-cinq ans qui avait déjà dans son passé quatre ans de vie militaire, et seize mois d’un labeur de bureau incompatible avec ses goûts. Il était alors installé à la campagne et avait écrit une douzaine de poèmes qu’on n’eut pas tort de joindre ensuite à ses œuvres plus parfaites ; ils montrent le progrès constant d’un génie laborieux. Les souvenirs de la guerre l’inspiraient et aussi les joies de la famille, — joies et tristesses, hélas, car dans ses Rêves de Juin en Janvier se trouve une confession douloureuse. Pourquoi le poète qui peut rêver la beauté, ne peut-il pas rêver du pain ? Pourquoi peut-il créer en hiver juin tout ardent, et palpitant, le tirer de la froide matière de son âme, sans parvenir à transformer cette même matière en un pauvre pain d’un sou ? Le miracle s’accomplit à la fin. La fortune lui vient en dormant :


O ma douce, rêver c’est pouvoir ! — Et je te rêverai du pain — Et je te rêverai des robes, des diamans — Cher amour, pour vêtir tes grâces divines !… — Venez renom, venez prospérité, et baisez les pieds de mon adorée.


Ceci veut dire qu’il était quelque peu encouragé par des amis et par des éditeurs, ce qui l’aidait à oublier qu’un mois après son mariage, il s’était remis à cracher du sang et qu’il lui avait fallu retourner chez son père étudier le droit pour le seconder dans la pratique de sa profession. Si Lanier n’eût pas alors mis en musique les vers bons ou mauvais qu’il écrivait, il serait mort d’ennui. Au printemps de 1870, son état s’aggrava tellement qu’il lui fallut aller consulter les médecins de New-York. Là il parut guérir ; il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Il vivait dans un milieu conforme à ses goûts, il pouvait se plonger dans les livres dont Maçon possédait un si maigre assortiment. Ce qu’il y a peut-être de plus admirable en lui, c’est le parti qu’il sut toujours tirer des occasions si rares qui lui furent offertes pour élargir le cercle de ses connaissances infiniment variées.

À son gré, l’artiste devait être doublé d’un savant. Parlant d’Edgar Poe, il dit : « Le malheur est qu’il ne sut pas assez ; il lui eût fallu savoir beaucoup plus pour être un grand poète ». Lanier

  1. Il y a dans le texte frowns, quand il fronce le sourcil.