Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autorisation de l’Etat ont pu voir ce que vaut pareille recette. Et cependant, tout l’appareil législatif avait été mis en mouvement pour le Panama ; il y avait eu un rapport d’ingénieurs ; il y avait eu deux rapports de commissions parlementaires ; il y avait eu discussion publique dans les deux Chambres. Que de garanties en apparence I et à quoi aboutit tout ce solennel appareil législatif ? à attirer dans les couloirs du Palais-Bourbon, avec leur carnet tentateur, les courtiers suspects et les financiers véreux qui rôdent autour des grandes affaires. S’il n’avait fallu une loi pour autoriser l’émission des obligations à lots du Panama, le nom d’Arton n’aurait jamais été mêlé à nos fastes parlementaires.

Et si les scandales du Panama ont été grossis dans l’imagination publique par le vague de leur mystère et par leur impunité, ce serait nous flatter que de les croire absolument isolés. Tels chemins de fer — la petite ligne du sud de la France, par exemple, — semblent bien avoir donné lieu à des intrigues et à des compromissions qui, pour avoir été peut-être exagérées par la malignité publique, n’ont pas été irréprochables. De fait, toute concession de l’Etat à une compagnie prête, aujourd’hui, à des accusations et à des soupçons souvent immérités. Certes, les suspicions d’une démocratie, naturellement défiante et naturellement jalouse, sont souvent injustes, — témoin les conventions des chemins de fer de 1883, les conventions appelées scélérates par ceux qui se refusent à reconnaître les avantages qu’en a retirés l’Etat. Il n’en est pas moins vrai que l’unique moyen d’arracher les hommes politiques aux tentations et l’opinion publique aux soupçons, c’est de réduire et non pas d’élargir l’intervention gouvernementale, c’est d’écarter l’immixtion parlementaire, partant l’intrusion de l’Etat dans les affaires de Bourse. Ne l’oublions point : faire intervenir le gouvernement dans les affaires de finance, serait introduire la spéculation et l’agiotage dans le cabinet des ministres, et la corruption dans les couloirs des Chambres.


IV

Allons plus loin : est-il vrai, comme semblent le croire ceux qui ne cessent de réclamer son intervention, est-il vrai que l’Etat soit naturellement, comme par vocation, l’ennemi de la spéculation et du jeu ? Ce n’est pas ce que montre l’histoire. Depuis l’époque de Law et le système du Mississipi, et depuis Barras et le