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S’il est un personnage de peu de scrupule, c’est le fisc. Pas de créancier plus dur, ni de plus retors usurier. Certaines administrations, comme celle de l’enregistrement, ont vis-à-vis des contribuables des méthodes d’une immoralité sereine, ne cherchant qu’à leur extorquer le plus d’argent possible, allant, par un procédé d’une honnêteté douteuse, jusqu’à intéresser ses agens à ses exactions. Veut-on mesurer, dans tout son cynisme, cette absence de scrupules ? Qu’on se rappelle les façons de faire de l’enregistrement pour la perception « du droit d’accroissement », alors que cette administration trouvait ingénieux de surélever, arbitrairement, par ses subtilités, le taux déjà outré d’un impôt inique. L’immoralité, c’est-à-dire le mépris du droit et le dédain du faible, le respect des formes joint à la méconnaissance de l’esprit de la loi, suinte des murs de plusieurs de nos administrations. Et le mal n’est pas propre à la France. Ailleurs aussi, les plus honnêtes des agens de l’Etat ne craignent pas toujours de violer les droits des particuliers par excès de fiscalité, si bien que, en certains pays, la fraude et la corruption sont le refuge du droit. Que sera-ce avec les impôts personnels qu’on nous prépare, sous le nom de réformes fiscales, et avec les méthodes de perception qu’entraînera l’impôt sur le revenu ? Le fisc, par ses procédés abusifs, par ses exigences indiscrètes, légitime, déjà trop souvent, aux yeux des grands et des petits, la dissimulation et la supercherie. Plus on étendra son empire, plus on le mettra aux prises avec les personnes, plus on le laissera fouiller dans la vie de chacun, et plus ces inconvéniens seront manifestes. Le fisc, dans les démocraties modernes, deviendra de plus en plus un professeur de démoralisation. Partout où l’on proclame l’omnipotence de l’Etat et la souveraineté du fisc, les particuliers, en s’inclinant extérieurement, se croient tout permis pour échapper à la tyrannie de l’Etat et aux vexations du fisc ; et le mensonge, la ruse, la fourberie dont ils prennent l’habitude vis-à-vis de l’Etat et de ses agens, ils finissent par se les permettre également dans les rapports privés. Le sentiment du droit s’altère, bien vite, dans les sociétés où l’on enseigne qu’il n’y a pas de droit contre l’Etat, alors qu’on érige en maxime que la volonté du peuple fait le