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droit, comme elle fait la loi ; car autant dire que la force et le nombre créent le droit.

De même, toutes les mesures de défiance ou de persécution dirigées par la loi ou par le fisc contre le capital et contre les capitalistes, contre « la richesse acquise », l’ennemie née, semble-t-il, des jalouses démocraties, ne feront que contribuer à la démoralisation publique et privée, à l’extension du goût du jeu, à la diffusion de l’agiotage, en décourageant les capitaux et l’esprit d’initiative, en éloignant le public des affaires régulières. Traqués par la loi et par le fisc dans toutes les entreprises de longue haleine, et menacés dans leurs bénéfices légitimes, les capitaux seront plus tentés de se rejeter vers la Bourse et vers la spéculation.


V

Où donc trouver un remède, et par quel moyen moraliser les affaires, épurer la finance, combattre le goût du jeu et la soif des gains rapides ?

De frein légal fabriqué à l’aide de règlemens, il n’en sera jamais d’une trempe assez solide pour contenir l’emportement de la passion. Nous sommes ici en face d’un mal moral, et à mal moral, nous ne saurions trop le répéter, il faut remèdes moraux. Or, la vertu, la moralité ne se décrète point. La loi, l’Etat sont impuissans à supprimer le mal, parce qu’ils ne peuvent atteindre que l’extérieur de l’homme, et que le mal est en nous-mêmes et non en dehors de nous. Que nous levions les yeux sur les riches ou sur les puissans du jour, que nous abaissions nos regards sur les petits, nous rencontrons, en haut et en bas, le même goût du plaisir, le même appétit du bien-être, la même fureur de se grandir et de s’enrichir. Nous sommes bien en présence d’une question d’hygiène sociale, comme celle de l’alcoolisme, ou celle de la licence des rues, mais non pas de cette hygiène matérielle qui n’exige que des règlemens d’édilité ou des mesures de salubrité publique, car, ici, le virus n’est ni dans l’eau, ni dans l’air, mais dans les âmes. Pauvres ou riches, le mal a sa racine au fond de nous-mêmes, dans notre hâte de vivre et notre fièvre de jouissance, dans le goût du luxe et du faste des hautes classes, dans les convoitises et les envieuses ambitions des petites gens, dans le désir de jouir et la soif de paraître de tous. Le mal n’a pas son principe à la Bourse, mais dans nos cœurs, et, pour le