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nous écarter du sens commun, nous rejoignons la foi, qui n’est sans doute qu’un « sens commun » plus ardent et plus prophétique. Tout sage croit et tout homme réfléchi espère que la vie n’est qu’un rêve, dont la mort sera le réveil.

Notons maintenant, avec le plus grand soin, le sens vrai des conclusions auxquelles nous sommes arrivés. — Il n’y a pas de différence essentielle entre le rêve et la réalité. Qu’est-ce à dire ? S’ensuit-il nécessairement que la réalité soit un rêve, soit illusoire et chimérique « comme un rêve » ? Assurément non ; c’est là le point sur lequel nous ne saurions trop insister.

On raisonne toujours de la façon suivante : la réalité et le rêve se ressemblent ; donc la réalité n’est qu’un rêve. Il est tout aussi rigoureux, et il est plutôt plus sensé de faire le raisonnement que voici : la réalité et le rêve se ressemblent ; donc le rêve est une réalité. — Cette affirmation, qu’il n’y a pas de différence radicale entre le rêve et la réalité, peut être interprétée de deux façons opposées ; on peut en déduire que la « réalité » est fausse ; mais, tout aussi légitimement, on peut en déduire que le rêve est vrai, que les objets du rêve sont réels comme ceux de la veille, d’une autre manière sans doute, mais enfin réels. — Resterait seulement à savoir en quel sens, et dans quelle mesure ils sont réels, au sens plein du mot ; c’est-à-dire que, les nuits où nous rêvons d’un ami absent ou d’un paysage inconnu, nous sommes réellement en face de ce paysage ou de cet ami. — On retrouverait par-là les vieilles croyances d’après lesquelles l’esprit, pendant le sommeil, franchit l’espace. Or, remarquons-le, ces croyances sont beaucoup moins absurdes qu’on ne s’est plu à le dire ; car, à parler avec précision, il n’y a rien de prodigieux à ce que l’esprit voie à distance, pour cette excellente raison qu’un objet ne peut pas être loin de l’esprit ; l’expression : loin de notre corps, a un sens ; l’expression : loin de notre esprit, n’a pas de sens, puisqu’on admet, avec justesse, que l’esprit n’occupe aucune place, qu’il n’est pas plus à un point de l’espace qu’à un autre. — On comprendrait ainsi les cas, souvent suspects, mais si nombreux, d’hallucinations télépathiques, de pressentimens, d’apparitions véridiques[1].

On pourrait entendre en un autre sens la réalité des objets rêvés. On pourrait dire que nous percevons, dans le rêve, non

  1. Gurney, Myers, Podmore, les Hallucinations télépathiques.