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avec une réalité, qu’elle est la réalité même, saisie par l’esprit ; — on en finirait avec cette psychologie, devenue un peu hâtivement classique, qui fait de la sensation une simple image « projetée au dehors » par nous ; — on aurait un peu moins foi en cette grande loi de la « relativité des sensations », qu’on a l’air d’établir par la raison, et qu’au fond on accepte de « l’autorité », vu qu’il n’y a, pour la démontrer, aucun argument sérieux ; — on cesserait de discuter l’extériorité des phénomènes, vu que ce sont là des termes dénués de toute signification, et que, si l’expression : extérieur au corps, a un sens, l’expression : extérieur à l’esprit, n’en a pas ; — on y regarderait à deux fois avant d’enseigner que la couleur, le son, la résistance, sont des états du moi, ce qui, pour beaucoup de gens, est presque toute la philosophie ; on n’appellerait plus sensations les qualités des corps, ce qui leur donne un air d’être « subjectives » et crée ainsi une interminable équivoque ; — on ne déclarerait plus que l’esprit est séparé des objets par les organes, les nerfs, le cerveau, formule d’une énormité presque monstrueuse, puisque les mêmes gens qui l’emploient nous annoncent avec la dernière insistance que « l’esprit n’a aucune place dans l’espace », et se proposent d’ailleurs de démontrer que les organes, les nerfs, le cerveau sont de pures apparences ; — bref, on accorderait seulement que les sens ne connaissent pas tout, maison proclamerait qu’il n’y a pas déraison sérieuse pour douter du peu qu’ils connaissent. — Ainsi le monde sensible est réel, solide, indépendant de notre conscience. Mais ce n’est pas la réalité unique, la réalité définitive. Puisque la veille ressemble au rêve en tous points, elle doit lui ressembler sur ce point : le réveil. Nous ne pouvons pas démontrer mathématiquement qu’il y aura un réveil : mais nous avons tout lieu de nous y attendre.

Voilà ce que nous apprend la comparaison de la vie et du rêve. Le rêve est une réalité, mais fugitive. De même, la vie actuelle est une réalité, mais provisoire.


CAMILLE MELINAND.