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REVUE LITTÉRAIRE

L’ŒUVRE D’ALPHONSE DAUDET

L’écrivain que nous venons de perdre, et qui emporte avec lui d’unanimes regrets, tenait une des premières places dans l’histoire du roman moderne : son talent inspirait l’estime : il est de ceux qu’on a plaisir à louer. Il échappe en effet à la plupart des reproches que méritent les romanciers de son groupe, et il a su éviter les graves défauts qui ne déparent pas seulement le naturalisme contemporain, mais qui semblent une partie de sa définition. Il n’a pas contre la société où il a vécu et contre l’espèce humaine tout entière cette mauvaise humeur qui, posant le romancier en ennemi et en détracteur de ceux qu’il peint, est un premier obstacle à l’exactitude de la peinture. Au contraire il a cette première et essentielle qualité du peintre de mœurs : la sympathie. Et il n’a manqué à cette sympathie que d’être plus éclairée, mieux renseignée, soutenue et fortifiée par le travail de la pensée. Il est pitoyable aux malheureux ; il plaint ceux qui souffrent ; il admire ceux qui s’efforcent de bien faire ; il croit au bien ; il a mis dans ses livres un tas de braves gens, foncièrement bons, et de qui leur bonté fait suivant les circonstances ou des victimes ou des héros ; il y a mis d’honnêtes femmes, de ces femmes comme il y en a tant dans la vie, et chez qui l’honnêteté est un si parfait résultat de la nature et de l’éducation qu’elles ne peuvent pas faire le mal et que la tentation n’existe même pas pour elles. Il ne s’est pas complu dans l’étalage monotone et lassant des images triviales et des spectacles déprimans. Il n’a pas affecté cette brutalité de pinceau qui témoigne chez ceux qui y ont recours non du tout d’une extraordinaire vigueur,