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faute y a-t-il, dans le sens juridique du mot, à exprimer modérément une opinion qu’en fait ou vous a sollicité de donner ?

Je dis « modérément » ; sur quoi peut-être objectera-t-on qu’aux yeux de l’artiste ou de l’écrivain une opinion défavorable n’est jamais une opinion « modérée » : l’éloge seul est toujours modéré ! Mais on se trompe. Si vive que soit la critique d’un livre ou d’une œuvre, — je dis dans les termes, — elle est modérée du moment que l’expression n’en a rien qui soit personnel à l’auteur de cette œuvre ou de ce livre. Et à quel signe reconnaît-on qu’elle n’a rien de personnel à l’autour ? L’épreuve en est facile à faire. Changez seulement le nom, et au lieu d’être de M. Dubout, supposez que Frédégonde soit de M. Dubois ou de M. Dupont. S’il n’y a pas un seul mot à changer dans l’article, M. Dubout a le droit d’être mécontent, mais non pas celui de se plaindre, et encore moins celui de nous répondre. On n’a vu en lui que l’auteur de son œuvre. Et son œuvre nous appartient, comme à tout le monde, aussitôt qu’étant détachée pour ainsi dire de lui-même, elle est devenue publique, en paraissant sur la scène ou chez le libraire. Voilà le principe qu’il faut que l’on maintienne, dans l’intérêt de tout le monde : — dans l’intérêt du public, du spectateur ou du lecteur, dont l’opinion a quelquefois besoin d’être guidée ; — dans l’intérêt de la critique, dont nous avons négligé de faire observer dans cette discussion qu’étant elle-même ou pouvant être œuvre d’art, ses droits sont égaux sans doute à ceux du roman ou du drame ; — et dans l’intérêt des auteurs enfin, qui ne sauraient se passer d’être défendus contre la médiocrité. Tout éloge qu’on fait de Pradon n’est-il pas un outrage à Racine ? et toute admiration qu’on exprime pour les Bourgeois de Molinchart ou le Vicomte de Bragelonne est un vol que l’on fait à l’auteur de la Comédie humaine.

C’est pourquoi, d’une manière générale, — et pourvu que, dans l’état de la jurisprudence, un tel vœu n’ait rien d’incompatible avec le système de nos lois, — nous demandons que, hors les trois cas d’Injure caractérisée, d’Erreur matérielle, ou d’Articulation relative à la vie privée, les tribunaux soient laissés maîtres de juger, en toute autre occasion, s’il y a lieu d’accorder ou de refuser à une personne publique, nommée ou désignée dans un article donné, le bénéfice du « droit de réponse. »

Ils n’en sont pas actuellement les maîtres ; et, sans avoir besoin d’en chercher un autre exemple que celui de l’affaire Dubout, nous l’avons dit, si la« réponse » de l’auteur de Frédégonde n’avait pas été presque aussi mal conçue que son mélodrame, nous aurions