Mais tous auraient été arrêtés, comme M. Duruy ne pouvait manquer de l’être, par l’insuffisance de ressources pécuniaires, nécessaires pour opérer une telle transformation, et par la crainte de mécontenter de petits chefs-lieux de département qui tiennent à leurs cours de sciences et de lettres comme à un titre d’honneur, une source de profits, et un moyen de fournir à des curieux de loisir un honnête et utile divertissement. L’idée vraiment originale de M. Duruy fut celle-ci : au lieu de porter la hache dans un système vieilli, mais encore assez résistant pour trouver des défenseurs, créer de toutes pièces, à des frais assez modiques et sur un cadre restreint, une institution nouvelle où il pourrait réaliser cette union entre toutes les branches du savoir humain, qui manquait aux facultés existantes. Ce serait un exemplaire et comme un modèle en réduction à leur proposer, auquel l’opinion publique les forcerait tôt ou tard à se conformer. Notre confrère, M. Gabriel Monod, a tenu de la bouche de M. Duruy lui-même, l’exposé du plan qu’il avait conçu et du succès qu’il s’en promettait. « Je me souviendrai toujours, dit-il, dans un récit intéressant que je me permets de lui emprunter, de l’entretien que M. Duruy me fit l’honneur d’avoir avec moi, au printemps de 1863, au moment où je revenais d’Allemagne, et où il m’exposa son projet d’Ecole des hautes études. Je lui disais que nous avions trop d’écoles spéciales et qu’au lieu d’en créer une nouvelle, il vaudrait mieux réorganiser les facultés en remaniant les cadres et y faisant entrer des élémens et un esprit nouveaux. — C’est impossible, me dit-il, on ne réforme pas les vieux corps malgré eux, et d’ailleurs je n’ai pas d’argent ; pour réorganiser les facultés, il faudrait beaucoup d’argent ; pour créer l’école que je rêve, il suffit d’une plume et d’une feuille de papier. J’obtiendrai pour elle l’argent qu’on ne me donnerait pas pour les facultés. Il faut, pour faire comprendre une idée aux Français, trouver un nom qui frappe l’esprit. Il suffira de créer une école nouvelle et d’y mettre des hommes dévoués à l’idée qui l’a inspirée pour que, si cette idée est juste, elle agisse et transforme tout autour d’elle. L’Ecole des hautes études est un germe que je dépose dans les murs lézardés de la vieille Sorbonne ; en se développant, il les fera crouler ».
« On "sait, ajoute M. Monod, ce qu’il advint : l’École des hautes études n’a pas cessé de grandir et de prospérer... Et quant à la vieille Sorbonne, elle est si bien transformée qu’on a de la peine