nos pères plus parfaitement qu’ils ne l’ont fait eux-mêmes, et d’en exprimer la plus fine essence. Le « pittoresque » du temps de Louis XIII est beaucoup plus coloré pour nous qu’il ne le fut pour les contemporains ; et c’est affaire à nous de créer un matamore pur et tendre comme une jeune fille, ou d’extraire de la « préciosité » ce qu’elle eut d’exquisement généreux. Tout, dans Cyrano, est rétrospectif ; tout, et même le romantisme moderne qui vient s’ajuster si aisément aux imaginations du romantisme de 1630 ; rien, dis-je, n’appartient à l’auteur, excepté le grand et intelligent amour dont il a aimé ces visions passées ; excepté cette mélancolie voluptueuse dont il teint çà et là, dans ses trois derniers actes, ces choses d’autrefois ; excepté enfin ce par quoi il est un si habile dramatiste et un si rare poète.
Et c’est sans doute pourquoi, — tandis que beaucoup de gens, et qui n’étaient pas tous des sots, ont parfaitement résisté au Cid, à Andromaque, à l’Ecole des Femmes, à Hernani, qui apportaient en effet « du nouveau » et dont il se pourrait que le contenu moral fût plus considérable, après tout, que celui de Cyrano de Bergerac, — aucune voix discordante n’a troublé l’applaudissement universel qui a salué la pièce de M. Rostand. Il manque donc, tout au moins, à ce trop heureux ouvrage une des marques accessoires auxquelles on distingue empiriquement les œuvres inauguratrices. Il lui manque d’être incompris (ce dont j’imagine que l’auteur se console facilement). Si le public tout entier a fait à Cyrano une telle fête, c’est bien qu’il en sentait la grâce, mais c’est aussi qu’il la « reconnaissait » et qu’il y retrouvait, dans un surprenant degré de perfection, un genre d’invention et de poésie contemporain, si l’on peut dire, de deux ou trois siècles, et dont il était déjà obscurément informé. Tout nous charme dans Cyrano, et rien ne nous y offense : mais rien aussi n’y répond à la partie la plus sérieuse de nos préoccupations intellectuelles et morales ; et, s’il était vrai que cette très brillante comédie romanesque « ouvrît le XXe siècle », c’est donc que le XXe siècle serait condamné à quelque rabâchage.
Ce que j’en dis n’est pas pour déprécier ce séduisant joyau. Il y a des pièces qui « marquent une date », et qui ne sont point bien belles. Par contre, il y a des chefs-d’œuvre qui ne marquent aucune date. Et quant à ceux qui semblaient en marquer une, on finit toujours par découvrir que ce qu’ils offraient de neuf, forme ou fond, était déjà pour le moins ébauché dans quelque médiocre ouvrage antérieur. Cela signifie que l’on peut, sans nul génie, s’aviser de quelque chose de nouveau, et que, même en art et en littérature,