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terre. Son père l’éleva fortement, l’endurcissant aux fatigues, aux privations, à la sobriété, comme si elle devait être pauvre. Elle le fut en effet jusqu’en 1834, où son père hérita du nom, du titre et des richesses, notamment de plusieurs milliers d’hectares de terre, du chef de la famille, le comte de Montijo, mort sans enfant.

En 1849, elle vint à Paris. Dans les salons aristocratiques, comme à l’Elysée, sa beauté à la fois imposante et gracieuse, son esprit, la noblesse de ses manières, firent sensation. Le Président la distingua, l’admira, l’aima, et le déguisa si peu qu’on s’en entretint. Elle fut invitée successivement à Fontainebleau avant l’Empire et à Compiègne après. Là, elle trôna en déesse. Cela déplut à beaucoup. La femme d’un ministre, particulièrement offusquée du pas pris sur elle en se rendant à table, dit des impertinences. Elle s’en plaignit et parla de repartir. — Restez, lui dit l’Empereur. Le lendemain il fit demander officiellement sa main. Sachant que sa résolution suscitait des étonnemens, il l’annonça à ses ministres en termes qui n’admettaient pas de discussion. « Je ne vous demande pas de conseil, leur dit-il, je vous fais une notification. »

Le 22 janvier, il réunit autour de lui les grands corps de l’Etat et leur dit : « Je me rends au vœu si souvent manifesté par le pays, en venant vous annoncer mon mariage. L’union que je contracte n’est pas d’accord avec les traditions de l’ancienne politique ; c’est là son avantage. Quand, en face de la vieille Europe, on est porté par la force d’un nouveau principe à la hauteur des anciennes dynasties, ce n’est pas en vieillissant son blason, et en cherchant à s’introduire à tout prix dans la famille des rois, qu’on se fait accepter. C’est bien plutôt en se souvenant toujours de son origine, en conservant son caractère propre, et en prenant franchement devant l’Europe la position de parvenu, titre glorieux lorsqu’on parvient par le libre suffrage d’un grand peuple. — Ainsi, obligé de m’écarter des précédens suivis jusqu’à ce jour, mon mariage n’était plus qu’une affaire privée. Il restait seulement le choix de la personne. Celle qui est devenue l’objet de ma préférence est d’une naissance élevée. Française par le cœur, par l’éducation, par le souvenir du sang que versa son père pour la cause de l’Empire, elle a, comme Espagnole, l’avantage de ne pas avoir en France de famille à laquelle il faille donner honneurs et dignités. Douée de toutes les qualités de