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Nos industriels, dans cette région, sont donc aussi bien placés que les Allemands : ceux-ci ont concentré en partie leurs aciéries dans le bassin de la Saar, à côté du gisement que nous venons de décrire, et en Westphalie, où ils en sont un peu plus éloignés, mais où, en revanche, ils ont le coke sur place. Ce coke coûte souvent plus cher aux usines de la Saar qu’à nos usines françaises de l’Est, parce que celles-ci l’achètent au tarif d’exportation, inférieur à celui auquel il est vendu en Allemagne. Les consommateurs français souffrent en bien des circonstances de législations qui élèvent pour eux le prix de produits fabriqués en France, alors que des primes à l’exportation permettent aux étrangers de les acheter meilleur marché ; le sucre en est un exemple. Il est intéressant de signaler un cas où l’effet inverse se produit et où les cartels allemands nous fournissent du combustible à plus bas prix qu’à nos concurrens. Quant à l’exportation de l’acier, nous sommes aussi bien placés qu’eux ; nous atteignons Anvers, qui est le grand port d’embarquement, à aussi bon compte. A quelle cause faut-il donc attribuer l’énorme écart de production entre les deux pays ? Alors que nous n’avons pas plus de quatre grandes aciéries, les Allemands en possèdent une vingtaine, dont plusieurs expédient jusqu’à 400 000 tonnes d’acier par an, tandis que la production maximum de l’une des nôtres atteint à peine le quart de ce chiffre. En ce moment même, la maison Krupp met en feu à Rheinhausen, sur la rive gauche du Rhin, deux hauts fourneaux qui livrent chacun 200 tonnes de fonte par 24 heures. L’emplacement est réservé pour six autres. Une aciérie leur sera bientôt adjointe.

Il faut reconnaître, ici comme ailleurs, que ce ne sont pas les conditions matérielles qui nous condamnent à un état d’infériorité, mais le manque d’initiative de nos industriels. Au lieu de se contenter d’installations plus ou moins réduites, et d’attendre le développement de la consommation indigène et étrangère, les Allemands se sont outillés de façon à exploiter, dans la mesure la plus large possible, les richesses minières et houillères reconnues sur leur territoire. A leur production vingtuplée, ils ont cherché et trouvé des débouchés ; ils n’ont pas attendu les demandes, mais les ont provoquées. C’est ainsi que leur fabrication de poutrelles de fer s’élève à 800 000 tonnes par an, dont 150 000 s’exportent ; la production française est de 230 000 tonnes, dont 30 000 s’exportent. Il est évident que les différences d’étendue et de population entre les deux pays n’expliquent pas un écart du simple au triple.