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majestueuse du chapitre. La lente file des chanoinesses, « en manteaux longs, à queue traînante, à grands collets d’hermine », se dirige vers le dais, où siège, sur l’or et le velours, l’élue, « imposante et modeste », vêtue d’une robe à traîne étincelante de broderies, « l’anneau de saphyr » au doigt, la crosse d’or à la main. Tour à tour elles lui rendent hommage ; et toutes, formées en procession, l’escortent au palais abbatial, édifice immense où tout respire le luxe et la richesse, où les salons somptueux se glorifient de tableaux des grands maîtres, où des glaces multipliées, par un jeu habilement ménagé, reflètent à, l’infini les fleurs, les bosquets, les eaux jaillissantes des parterres. Et c’est dans cette pompeuse demeure, parmi les honneurs qu’elle dédaigne et les fêtes qu’elle redoute, que se croit destinée à vivre désormais celle dont le rêve secret est « la petite maison des vignes », près de celui qu’elle aime, dans la calme retraite où expirent les vains bruits du monde.

Les événemens qui se préparent dans l’ombre se chargeront bientôt de démentir ces prévisions. Encore deux ans à peine, et tout ce faste, et ces grandeurs, et cette brillante façade vont tomber en poussière ; aux acclamations triomphales succéderont brusquement les huées menaçantes ; et fuyant à la nuit tombante l’habitation de ses ancêtres, blottie dans une berline aux panneaux relevés, par des chemins détournés, parmi des populations hostiles, la petite-fille du grand Condé franchira, pour un quart de siècle, la frontière de l’exil.


VIII

Lorsqu’il donna, en entraînant les siens, le signal et l’exemple de la retraite à l’étranger, le prince de Condé, — si sévèrement que l’histoire doive juger sa conduite, — ne put du moins être accusé de trahir ses principes et de renier ses actes antérieurs. Il fut dès le début, et resta toute sa vie l’ennemi le plus implacable et le plus déclaré de la Révolution et des idées nouvelles. L’assemblée des Notables l’a déjà vu combattre les « soi-disant réformes », défendre avec ténacité l’autorité royale. Il s’oppose de tout son pouvoir à la convocation des États généraux ; et quand, pour présider aux élections de la noblesse, il arrive à Dijon[1], « entouré de toute sa maison et d’un cortège de gentilshommes »,

  1. Il était, comme ses ancêtres, gouverneur de Bourgogne.