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Le colonel Canrobert au général de Castellane.


Batna, le 2 avril 1848.

Mon général,

Je viens de recevoir la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire sous la date du 5 mars. Je connaissais le noble exemple que vous aviez donné à l’armée française, en conservant pures les armes des soldats qui avaient le bonheur d’être sous vos ordres à l’époque des événemens de Février. Pourquoi donc, mon général, n’avez-vous pu faire passer votre énergie dans l’âme de tous les chefs de notre armée ? Nos fronts de soldats n’auraient pas eu à rougir de honte. Je ne puis m’accoutumer à la pensée que nos régimens se sont laissé désarmer !

La mesure qui vous frappe, mon général, ne saurait être de longue durée, vous êtes trop nécessaire à l’armée pour en rester éloigné pendant trop longtemps et les gouvernans de la France, quels qu’ils soient, s’ils aiment l’honneur et la gloire de leur patrie, ne peuvent la priver de vos éminens services[1].

Je suis toujours à la tête de la subdivision de Batna et de mon régiment. Nous attendons avec calme notre future destinée. Les soldats sous mes ordres sont parfaits de discipline et d’obéissance dévouée.

Daignez agréer, mon général, l’expression de la respectueuse et reconnaissante affection de votre dévoué serviteur.

  1. Le 3 mars 1848, le général de Castellane avait été mis en disponibilité par le Gouvernement provisoire et remplacé à Rouen par le général Ordener.