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À cette première explosion, à cet accès de désespoir, succède une autre crise, plus longue et non moins douloureuse. Un désir impérieux s’empare de son cœur et le domine bientôt entièrement : revoir les siens, quitter cette terre d’exil où elle a tant souffert, rompre la lourde chaîne qu’elle a forgée de ses mains, et dont aujourd’hui seulement elle sent la pesanteur. Tout contribue, dit-elle, à cette résolution : l’état d’esprit qui règne en Pologne, le courant de sympathie qui, même en sa présence, se manifeste en faveur du nouveau gouvernement de la France, les sentimens « puans d’enthousiasme » de la population pour Bonaparte, le meurtrier de sa famille, « Robespierre II », comme elle l’appelle ; et aussi le besoin qu’elle éprouve de se retrouver au milieu de compatriotes, parmi « de bonnes Françaises », qui comprennent ses pensées et s’associent à ses regrets ; enfin, par-dessus toute chose, l’irrésistible envie, après la catastrophe, de « se jeter dans les bras » des seuls êtres qui lui tiennent par les liens sacrés du sang, de pleurer avec eux leur deuil irréparable, « d’embrasser avant de mourir un père tendre et malheureux. » Des scrupules religieux la retiennent cependant. Le consentement de la supérieure, l’approbation même de son directeur, ne suffisent pas à rassurer sa conscience. Il lui faudrait en outre « l’avis de trois évêques, pieux et éclairés », et elle charge son père d’obtenir cette consultation, de la lui envoyer sans délai. En attendant qu’elle la reçoive, elle s’occupe avec fièvre de préparer son départ, s’inquiète des moyens d’effectuer un voyage dont les difficultés l’épouvantent, dans le « dénûment » où elle se trouve, « sans argent, sans amis, sans connaissance de la langue du pays, sans moyen de suppléer » à tout ce qui lui manque. Elle a, dans cette extrémité, l’idée de s’adresser au Roi[1] ; et voici que de ce côté surgit tout au contraire

  1. La famille royale devant quitter Varsovie vers cette époque, la princesse avait demandé à « se joindre à leur train », ne réclamant pour elle qu’une seule voiture, et promettant de « ne les gêner de sa présence ni en route ni dans les auberges, de n’offusquer en rien les dames d’honneur et leur clique. » Cette requête ne fut pas accueillie. (Lettre du 21 novembre 1804. Archives nationales.)