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socialiste, mais des documens dignes de toute créance, comme les Lettres méridionales de M. Pasquale Villari, l’ancien ministre ; comme l’enquête agraire sur les Calabres, entreprise vers 1880 par M. Branca, le ministre actuel ; comme les récens rapports des chambres de commerce de l’Italie méridionale, bien instructifs en leur froide sécheresse. On y voit, par des faits et par des chiffres, que la confiscation des biens ecclésiastiques, non plus que la répartition des biens domaniaux, n’a produit les effets sociaux qu’on en espérait ; que les tyrannies locales créent au profit de quelques-uns et au détriment du grand nombre de nouvelles catégories de privilèges, exercés avec d’autant plus d’âpreté qu’ils se sentent plus légitimement contestés ; et qu’enfin les mesures mêmes qui auraient pour but de multiplier la petite propriété tournent à l’extension de la grande. La chambre de commerce de Reggio, par exemple, constatait, en 1893, que, dans le dernier quart de siècle, la petite propriété a diminué dans la province de Reggio : il y avait, en 1870, 18 000 propriétaires sur 350 000 habitans ; et le chiffre de la population, en 1893, s’étant élevé à 420 000, le nombre des propriétaires s’était au contraire abaissé, en dépit des assignations domaniales commandées par la circulaire ministérielle de 1879.

Pour aliéner un petit domaine, les raisons ne manquent pas : tantôt l’exiguïté même du domaine, qui refuse ou marchande le pain de la famille ; tantôt la concurrence étrangère qui. frappant d’une disgrâce momentanée certains produits indigènes, semble tarir les sueurs du paysan, exclusivement dévouées, dans les étroites limites de son champ, à une seule culture désormais mal récompensée ; tantôt une année mauvaise, destructive d’initiative en même temps que d’espérances, tantôt enfin l’huissier, messager d’un percepteur impatient, et qui vient aggraver la méchanceté des hasards ou la cruauté des lois naturelles en faisant appliquer l’égalitarisme abstrait et brutal des lois fiscales. En 1893, le nombre des immeubles vendus judiciairement, dans les Calabres, s’élevait à 113 pour 1 00000 habitans ; les Abruzzes étaient la seule province de la péninsule où ce chiffre fût dépassé. Ces revanches de la « justice » expiaient des insolvabilités singulièrement dignes de pitié : il s’agissait, en 773 cas, d’une somme d’impôt inférieure à 50 francs, et même, en 231 cas, d’une somme d’impôt moindre de cent sous. La crise va s’accentuant : dans telle circonscription où l’exercice de 1893 accusait une défaillance de 19 000 francs