Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le paiement des impôts, l’exercice de 1895 accusait une défaillance de 57 000. Ce que les lois agraires tentent de faire, les lois budgétaires risquent de le défaire.

C’est ainsi, par la force des choses et l’inconséquence des hommes, qu’à l’ancienne aristocratie féodale une oligarchie nouvelle s’est parfois juxtaposée, le plus souvent substituée ; et c’est à cette oligarchie, surtout, qu’ont profité dans l’Italie méridionale les changemens d’affectation du sol. Voilà plus de vingt ans que M. le député Franchetti adressait à ces galantuomini de sévères avertissemens dans son livre sur « les conditions économiques et sociales des provinces napolitaines », où la générosité de l’inspiration, parfois même de l’indignation, n’enlevait rien à la savante précision des détails. « En s’arrêtant peu de temps dans ces régions, écrivait de son côté un député de la Basilicate, on croirait sans nul doute que la bourgeoisie, c’est-à-dire l’unique classe dirigeante, est vraiment animée d’un esprit démocratique et radical ; et l’on recueillerait, sur les lèvres bourgeoises, les mots de maçonnerie, de république, de gauche, de progrès. La vérité, c’est qu’à la bourgeoisie sont dues les plus grandes misères dont souffrent nos paysans : c’est d’elle que vient la lourdeur des contrats agraires ; d’elle, le socialisme à rebours dans les impôts communaux ; d’elle, la dissipation des biens communaux et des rentes des œuvres pies ; d’elle, en définitive, les vexations et les exactions. Le sens social lui fait défaut ; elle ne prend aucun intérêt à la transformation de la culture, elle a mis dans l’acquisition des biens ecclésiastiques le meilleur de ses revenus. » Ce langage est de M. Fortunato, l’un des membres les plus écoutés et l’un des esprits les plus modérés du Parlement italien : il fait écho, peut-être sans le savoir, au pessimisme prophétique de P.-J. Proudhon.

Est-il permis d’augurer que tôt ou tard, pour le plus grand bien du peuple italien, ces deux puissances encore jeunes, la monarchie unificatrice, et l’oligarchie du sud, puissances nées à la même date et grandies ensemble en s’appuyant parfois l’une sur l’autre, entreront en conflit ? Que si le pouvoir central, préférant les intérêts immortels de la justice aux dettes prolongées de la gratitude, mettait un terme aux complaisances arbitraires et aux assentimens tacites par l’effet desquels les meilleures lois sont annihilées et les pires souffrances perpétuées, il ferait acte d’héroïsme, peut-être, mais acte, aussi, d’habile politique. Il ne serait