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pas impossible que l’opinion publique fût déjà mûre pour le comprendre. N’applaudissait-on pas à Naples, il y a quelques mois, une pièce fort distinguée de M. le duc d’Andria Carafa, les Derniers d’Alcamo, satire énergique et douloureuse contre certains représentais de la camarilla nouvelle à laquelle ont profité cent ans d’incertitudes révolutionnaires ?


II

« La grande répartition des terres, accomplie à peine par moitié en soixante-dix-huit ans, n’a point laissé de traces visibles d’améliorations agraires et sociales : » on trouve cet aveu dans un document officiel de 1884 ; treize ans ont passé, et la constatation demeure exacte. Les deux idées d’améliorations agraires et d’améliorations sociales sont ici rapprochées à juste titre. Il n’y a point, en effet, entre la terre et l’homme, un simple rapport d’instrument à ouvrier : l’agriculture met en présence deux êtres vivans, j’allais presque dire deux dignités, la glèbe nourricière et le labeur humain ; et lorsque, par l’effet du régime économique, ces deux forces sont prostituées et ces deux dignités avilies, les crises sont toutes prochaines. Beaucoup de misères calabraises s’expliquent par-là.

En haut, à la sphère supérieure, de grands propriétaires, inaccessibles en leur absentéisme, ne connaissant souvent leurs terres que par le revenu qu’ils en tirent, et ne s’imposant d’autre souci que celui d’adapter aux besoins d’une oisiveté coûteuse les exigences des contrats agraires ; à un degré au-dessous, des entrepreneurs de fermages, forts de leur situation d’intermédiaires et en abusant, non moins indispensables à ceux qui les emploient qu’à ceux qu’ils emploient, laissant espérer au possesseur de la terre que les redevances convenues afflueront à sa cassette, à l’heure dite, avec l’impeccable ponctualité d’un coupon de rente, et prétendant d’autre part édicter eux-mêmes, par leur propre volonté, la loi de l’offre et de la demande sur le marché de sueur humaine où ils sont attendus comme cliens ; puis, en descendant encore d’un échelon, voici venir les fermiers sous-adjudicataires, les petits colons, acceptant des conditions onéreuses de sous-location sans savoir s’ils seront en mesure d’y faire face ; enfin, tout en bas, les journaliers, sollicités par la faim de mettre leurs bras au rabais. D’étage en étage de cette hiérarchie factice, où les idées brutales