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l’Arcadie sont nés avant la lune. Tranquille et libre, au milieu des invasions, ce pays a conservé inviolés les mythes pélasgiques. Si bien que Pausanias affirme que c’est en Arcadie qu’il a, pour la première fois, senti la force toute vivante des mythes[1].

M. Al. Bertrand remercie la France dont la générosité maternelle lui a permis d’explorer l’Arcadie presque tout entière. De cette exploration, il tire des résultats nouveaux et très curieux sur la mythologie des divers cantons de ce pays. Notre intention n’est pas de reproduire, même en abrégé, ses conclusions partielles ou sa conclusion générale.

Nous avons voulu seulement constater que cette méthode mythographique avait été déjà employée par un membre de la première promotion, que d’ailleurs M. Al. Bertrand se plaît à citer. Et telle est la valeur effective de cette façon de procéder que M. Al. Bertrand s’en sert une seconde fois, et cela dans le livre qu’il intitule : Essais sur les dieux protecteurs des héros grecs et troyens dans l’Iliade. Homère est à la fois historien des vieux mythes et poète, arrangeant ces mythes selon les besoins de sa conception épique. Il semble çà et là qu’il y ait contradiction entre le poète et l’historien, ou bien que le premier agisse par caprice et méconnaisse certains mythes consignés dans des poèmes autres que les siens. Par exemple, Héra, la Junon de l’Iliade que nous connaissons tous, est placée par Homère au premier rang. Au contraire, dans Hésiode, Héra n’est qu’une des épouses de Zeus, comme Thémis, comme Mnémosyne, comme Dioné ; elle est même la dernière. Parmi les dieux et les déesses auxquels on sacrifiait aux fêtes d’Olympie, Héra semble n’avoir que le quatorzième rang. Comment donc Homère en fait-il la reine du ciel ? Comment lui donne-t-il, dans la guerre de Troie, une intervention prépondérante ? On se l’explique en se reportant en Argolide, le foyer, le lieu des légendes d’Héra. Là on l’adore, là elle a son temple, là elle est la grande déesse pélasgique et achéenne, l’égale, l’épouse de Zeus, aux yeux des Argiens. C’est ce mythe antique, c’est le cri de la Grèce argienne, c’est la tradition qui l’a imposée au poète, et non une fantaisie de celui-ci.

L’ouvrage dont je viens de parler, et le précédent, sont de la même veine que la monographie de M. Emile Burnouf sur Neptune. Le courant d’études mythologiques était donc bien établi

  1. Il faut rapprocher de ce travail la thèse ingénieuse et savamment approfondie de M. Alfred Mézières : De fluminibus inferorum.