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Ce doute intérieur, exprimé quelquefois, plus souvent indiqué, paralyse sa parole, désarme son bras. Il cherche lui-même, il attend celui qu’il annonce, « celui qui doit venir ». Il le décrit sur le ton des anciens voyans, arrivant comme un roi puissant et vainqueur qui anéantit ses ennemis et qu’accueillent les hosannah des enfans d’Israël ; mais il croit bien mal à cette image, qu’effacent les paroles d’une pauvre femme qui réclame un pauvre pour les pauvres et le traite de faux prophète. Des propos confus, qu’apportent des Galiléens, lui rappellent le jeune inconnu qu’il a baptisé jadis. Est-ce lui qui maintenant accomplit des miracles sur les bords du lac de Génézareth, qui prêche une doctrine d’amour, ordonne d’aimer jusqu’à ses ennemis, s’entoure des humbles et des pauvres et repousse les Pharisiens ? Il le pressent, mais n’en peut être sûr, et il ne sait que croire, il ne sait que penser. Au moment de l’action, c’est encore le doute qui l’arrête : soutenu par le peuple, qui ne lui demande qu’un signal, le voici sur les marches du Temple, prêt à barrer la route à Hérode et à Hérodias qui osent souiller de leur présence les parvis sacrés. Il tient dans sa main la première pierre de la lapidation, — cet arrêt redoutable et spontané de la justice populaire ; autour de lui, ses disciples répètent : « Maître, lance-la ! lance-la ! » Il la lève déjà.

Il crie :

« Au nom de celui qui… »

Mais les étranges, les incompréhensibles paroles qu’on prête au Nazaréen sortent malgré lui de sa bouche ; il balbutie :

«… de celui… qui… m’ordonne… de… t’aimer… ?

Et la pierre tombe de sa main.

Plus tard, ce doute de savoir, cette angoisse de comprendre, le tourmente aux approches de sa dernière heure, dans une succession de scènes que je vais traduire intégralement :

Hérode offre une fête somptueuse au Légat de Syrie, Vitellius. Salomé ayant dansé devant lui, il a promis, comme dans l’Evangile, de lui accorder tout ce qu’elle demanderait, et la jeune fille, dont Jean a repoussé l’amour, demande la tête du Prophète. On le fait amener devant les convives :

HÉRODE.

Je t’ai fait appeler, Baptiste. J’en suis vraiment fâché : prépare-toi. Le soir de tes jours est venu, mon ami.