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épopée de la guerre du Samnium, le combat de la cité contre la tribu, de la plaine contre la montagne. C’est l’histoire des Saxons et des Highlanders de l’Ecosse, ceux-là disciplinés en gros bataillons, ceux-ci assemblés en milices irrégulières ; mais la nature est de leur parti. Les montagnes couvrent et protègent leurs enfans. Déniés sombres, pics aériens, torrens orageux, neiges et frimas des Apennins, les élémens sont pour les fils de la terre contre les fils de la cité. » Et c’est ainsi que, de tableaux en tableaux, en montrant les événemens plutôt qu’en les racontant, Michelet nous conduit, par un chemin qui nous semble court, des origines de Rome à la fin de la république.

Dans cette série de brillantes esquisses, il y en a qui l’ont un peu plus retenu que les autres. Tel est le récit des guerres puniques ; il est visible qu’il s’y est particulièrement intéressé et qu’il était satisfait de la manière dont il l’avait traité. Trente ans après, revoyant son ouvrage pour une édition nouvelle, il nous dit avec une pleine franchise : « Ce récit est très fort dans mon histoire ; il en est la partie importante, solide, qui, je crois, restera. » C’est pour nous une invitation à le regarder de plus près.

On comprend que les guerres puniques aient attiré Michelet. Il y a peu de spectacles aussi dramatiques, dans l’histoire, que le choc de ces deux grands empires combattant pour la domination du monde, que les terribles vicissitudes de la lutte, et la grandeur du désastre final, « où une civilisation tout entière passa d’un coup, comme une étoile qui tombe. » Ce qui ajoute à l’intérêt des événemens, c’est qu’ils nous ont été transmis par des historiens incomparables. Polybe en était presque contemporain ; s’il n’y a pas assisté en personne, il vivait dans la maison des Scipions où l’on devait en parler souvent. Curieux comme il l’était, et avide de savoir la vérité, il a dû interroger les survivans de ces grandes batailles, il a visité les lieux où elles s’étaient livrées, réuni des documens dans les archives publiques et privées, qui lui étaient ouvertes. Son histoire est une merveille de précision, d’exactitude, et surtout d’impartialité ; il était décidé à se tenir aussi loin des exagérations des amis de Rome que des partisans de Carthage et à prendre le milieu entre Fabius Pictor et Philinos d’Agrigente. Du reste, il n’a pas de peine à être impartial ; les passions qui troublent la sérénité de l’âme et la rectitude du jugement lui sont étrangères. Il est sans illusions et sans préjugés, et, comme il se connaît bien et se juge sincèrement, il prévoit que son livre, d’où la rhétorique et le merveilleux sont