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dans tant de familles qu’il lui plaira, la honte, le désespoir, la prostitution ou le suicide. Et l’enfant, en ces aventures ? Car on nous concédera à la rigueur que « les filles séduites avaient quelques dispositions à l’être », et qu’elles payent le châtiment de leur faute. Mais « le petit » ? Il est faible, celui-là, « il est absolument innocent, il n’a pas demandé à naître, et il n’a jamais rien fait de mal » ; il est, par conséquent, « digne de tous les amours, de tous les respects, de toutes les pitiés, et de toutes les protections. » Quel recours lui offre la société contre ses générateurs ? Dans certaines conditions déterminées, il pourra rechercher sa mère. Quant à son père, s’il convient à celui-ci de ne pas embarrasser son existence des charges qu’impose la paternité, aucune loi ne l’y oblige ; ce père s’inquiétera moins de son fils ou de sa fille que « du cheval qui traîne sa charrette ou du chien qui garde sa maison » ; il laissera l’être né de sa chair livré sans défense à la solitude, à la pauvreté, aux mauvais exemples, à la maladie et à la mort, et il n’encourra pas la moindre responsabilité civile ou pénale. Admettrons-nous donc sérieusement, et jusqu’à la consommation des siècles, de pareilles monstruosités ?

Moralement, personne ne les a jamais admises et personne ne les admettra jamais. L’homme qui, ayant abusé de l’ignorance, de la confiance, de l’amour d’une vierge, l’abandonne au hasard après l’avoir possédée et rendue mère, commet une vilenie odieuse et mérite toutes les flétrissures. L’homme qui sait à n’en point douter qu’il a engendré un enfant, et qui n’accepte dans aucune mesure aucun des devoirs que comporte « cet accident de la galanterie », se rend coupable d’un acte infâme ; et l’opinion, si sévère soit-elle, se montrera toujours trop indulgente pour ce triste personnage. Seulement, la question n’est pas là ; la question est de savoir jusqu’à quel point le Code peut et doit intervenir contre l’immoralité de l’amant et du père, en faveur de la fille séduite et du bâtard.

Et d’abord, en ce qui concerne la fille séduite, il serait bon pourtant de ne pas aveuglément s’en tenir à des considérations sentimentales, et d’examiner froidement les données du problème, au lieu d’en faire une matière à romans, à drames et à déclamations pseudo-juridiques. La femme est-elle un être d’une intelligence inférieure et débile, incapable de se conduire, inapte à distinguer nettement le bien du mal, et à peu près désarmée contre les entreprises de l’homme ? Est-elle, en un mot, une