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nous mordre aux talons, que notre action diplomatique ou militaire aurait dû se dévouer !

Les diplomates du second Empire ont souvent été bien injustes envers leur souverain. Ainsi, de Constantinople, après la guerre de Crimée, Thouvenel, ne comprenant pas une des plus habiles et des plus heureuses manœuvres diplomatiques de son souverain, écrivait à son ami Gramont, ministre à Turin : « Je suis profondément navré de la façon dont nos affaires extérieures sont conduites et un chapitre sévère suivra, dans notre histoire, le récit de la dernière guerre. La direction imprimée depuis deux ans à notre politique extérieure, si tant est qu’on puisse appeler ainsi l’absence de toute idée mûrie, de tout esprit de suite, de toute fermeté opportune, menace de devenir la calamité du règne[1] ! » Ceci du moins restait confidentiel et ne se traduisait pas extérieurement dans le langage des deux hommes d’honneur qui échangeaient leurs craintes intimes.

D’autres étaient moins circonspects. Pendant la guerre de Crimée, notre ministre à Francfort voyait tout en noir, annonçait une triste fin, exprimait la crainte que l’Empereur fût entraîné trop loin par une partie de l’opinion française, si l’Europe se montrait trop condescendante à ses vues.

Pendant leur ambassade à Londres, Malakoff et Persigny n’ont cessé de désavouer, de décrier, et quelquefois de caricaturer la politique impériale. On annonce la nomination d’un ministre inconnu des hommes d’Etat anglais au ministère de l’Intérieur. Qu’est-ce que ce personnage ? demande-t-on à Malakoff. « Je n’aime pas les gens qui ont le front fuyant et la tête pointue derrière : tout cela tient plus du lièvre et de l’écureuil que de l’homme ; eh bien ! c’est un peu le nouveau ministre », répondit-il. Il fait chorus aux malédictions des ministres anglais contre la guerre d’Italie et ne se contraint pas de la traiter comme une aventure. Persigny se déclarait tout haut très malheureux de ce qu’il appelait les fautes de son maître. Au lieu d’expliquer ses actes, il les raillait ; au lieu de les défendre, il les déconsidérait. A Clarendon, le ministre des Affaires étrangères, il dit : « A propos, j’ai reçu une dépêche de Walewski ; voulez-vous que je la lise ? — Certainement. — Ah ! je l’ai laissée à la maison, mais n’importe, cela n’en vaut pas la peine ! » Quelle longue liste il faudrait dresser

  1. Mars et novembre 1857. Cité par M. Louis Thouvenel dans son intéressante publication : Trois années de la question d’Orient.