Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que sa maison était suspecte et fort surveillée ; un grand nombre de gens dont il ne pouvait répondre y affluaient ; la présence du chef de l’association serait immanquablement signalée aux autorités de Dol et de Saint-Malo qui enverraient de forts détachemens de troupes pour le saisir. M. de Noyan était bien décidé à ne pas laisser exécuter chez lui une arrestation dont il prévoyait les conséquences, mais à résister et à périr dans les murs de son château plutôt que de se rendre ; M. de la Rouerie ne devait donc y venir que s’il voulait partager cette chance…


Soit que la Rouerie ne consentît pas à compromettre son vieil ami, soit, plutôt, que le comte de Noyan, dont la franchise était sans détours, n’eût pas caché à Thérèse de Moëlien que la retraite du marquis à Jersey pouvait seule sauver la vie de ses affiliés, elle détourna son cousin de venir se réfugier à la Mancellière. Accompagné seulement de Fricandeau et de Saint-Pierre, le proscrit passa la Rance et s’enfonça dans le cœur de la Bretagne.


V. — CHÉVETEL

Trois jours après la réunion de la Fosse-Ingant, nous retrouvons Chévetel à Paris.

Il était en mesure de rendre à Danton, ainsi qu’il le dit lui-même, « un compte détaillé » ; mais, toujours prudent, s’il voulait bien parler, il se refusait à écrire sa délation et s’obstina à ne point paraître devant le Comité de sûreté générale. Comme son concours était indispensable et que lui seul, connaissant individuellement les conjurés, pouvait découvrir leur retraite et assurer leur châtiment, on subit ses conditions.

Danton se chargea d’instruire le Comité qui, le 5 octobre, rédigea lui-même la déclaration de Chévetel et l’adressa à Roland, ministre de l’Intérieur, en l’engageant à « ordonner très incessamment tous les ordres et tous les pouvoirs pour déconcerter le complot ». Ici encore, Chévetel souleva une difficulté : c’était de Danton seul qu’il consentait à tenir sa mission ; il ne voulait pas que sa trahison fût ébruitée, et, prétendant se compromettre le moins possible auprès des Bretons, il offrait de jouer, — sous un faux nom, celui de Latouche, — le rôle d’indicateur, exigeant la coopération d’un agent d’exécution chargé d’arrêter les victimes qu’il désignerait. On passa par où il voulut, et, sur la recommandation de Fabre d’Églantine, on lui adjoignit Lalligand, dit Morillon, qui déjà avait rendu, en Provence, d’importans services du même