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LES SUICIDES PAR MISÈRE
A PARIS

En étudiant les dossiers de suicides classés au Parquet de la Seine, j’ai été frappé du nombre de morts volontaires déterminées par la misère imméritée. Magistrat en province pendant de longues années, j’avais bien constaté quelques cas de misère aboutissant au suicide. J’avais même entendu plusieurs fois une parole, qui exprime autant que le suicide les horribles souffrances des pauvres, et qui est employée couramment en Provence par les femmes de la campagne : quand elles veulent dire qu’elles ont perdu des enfans, elles disent : « Le bon Dieu m’a aidée. » J’avais aussi constaté quelques cas de mort produits par défaut de nourriture. Mais combien les misères de Paris ne sont-elles pas plus nombreuses, plus différentes, plus atroces ! En 1836, le docteur Leuret écrivait qu’on ne comptait guère à Paris plus de 7 à 8 suicides par misère chaque année ; aujourd’hui on en compte de 300 à 350. Un très grand nombre d’ouvriers, je le sais, tombent dans la misère par leur faute, par suite de leurs habitudes de paresse, de débauche et d’intempérance. Mais un grand nombre d’autres ouvriers, de petits employés, de petits commerçans, de jeunes et de vieilles ouvrières sont très malheureux, sans avoir rien à se reprocher. Par suite des chômages forcés, de l’insuffisance des salaires, de la maladie, du grand âge, des infirmités, des blessures reçues dans un accident professionnel, beaucoup tombent dans une misère noire, et lorsqu’ils n’ont plus de pain à manger ou à donner à leurs enfans, lorsqu’ils n’ont plus de vêtemens à mettre, ou qu’ils sont chassés de leur domicile, ils vont se pendre, ou se