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en 4783, reperdu sous Napoléon, rendu en 4817, notre Sénégal, après André Brue (1697-1723), attendit jusqu’à Faidherbe pour que son gouverneur en comprît la valeur. De 1852 à 1865, Faidherbe sut mettre à la raison les insolens roitelets du bas pays, rejeter les Maures au nord du fleuve, ruiner sous les murs de Médine la puissance d’El-Hadj-Omar, ce Madhi occidental, plus terrible que celui de l’est, et dont la France, elle, ne ménageait pas les forces. Par les explorateurs qu’il dirigea chez les Maures, dans le Fouta-Dialon, sur le Niger, Faidherbe préparait aussi l’avenir.

Après la guerre, nous ne possédions que le cours inférieur et moyen du fleuve, quelques points sur la côte des Rivières du Sud ; nous avions abandonné nos postes du Dahomey, et ceux de la Côte d’Ivoire où une maison de commerce défendait seule notre drapeau. Les Portugais se maintenaient sur quelques rios et aux Bissagos ; la république de Libéria grandissait. Les Anglais, sur quatre points différens : Gambie, Sierra-Leone, Côte d’Or et Lagos, attaquaient le Soudan ; nous restions dix ans immobiles ; ils pouvaient tout conquérir de la Gambie au Congo. On le reconnaît aujourd’hui outre-Manche ; trop tard ! à force de persévérance, la France a pris la majeure partie d’un territoire qui pouvait lui échapper en entier.

Cet esprit de suite, nous le devons à nos officiers d’Afrique. Ces « sabres inintelligens » — comme disent quelques politiciens et humanistes — ont remarquablement compris les rapports qui s’établissent forcément entre des peuples civilisés et leurs voisins barbares. C’est la guerre. Tôt ou tard ces voisins attaquent vos protégés ; pour défendre ceux-ci, vous frappez l’envahisseur par le seul moyen possible, l’occupation de son territoire. L’ennemi d’hier devient un protégé, la frontière s’avance, les devoirs du conquérant grandissent. En vain veut-il s’arrêter, l’engrenage est trop fort. Pas de cesse, tant qu’il reste des barbares. En tout cela nulle brutalité, nulle ambition, mais l’impossibilité de prêcher à des violens le respect d’une frontière et d’un voisin d’autant plus riche qu’on l’a mieux protégé. Rome a grandi ainsi en Italie, en Asie, en Espagne, en Gaule ; la Russie au Caucase, en Sibérie, au Turkestan. Loi terrible, mais fatale. Inutile de déclamer contre son inévitable application ; mieux vaut la tempérer par la décision qui rend la conquête moins pénible en la faisant plus prompte, et par la charité, qui laisse au vaincu loi, mœurs et religion, le