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gagne au bien et au travail, et ne lui ravit que le pouvoir de nuire. Ainsi doit-on payer par des services la soumission du barbare. Mais se croire à jamais en paix avec lui est une idée de rhéteur inhabile à l’action, inconnue des vrais politiques qui, sachant des maux inévitables, s’y préparent et ne songent qu’à en réduire l’excès.

Sages politiques, ces officiers sont aussi bons administrateurs.

Ils n’ont pas fait « leur droit », ne transportent pas de toutes pièces aux colonies un cadre administratif comme une maison démontable ; l’esprit libre, ils ne considèrent pas la loi comme un fétiche adorable en soi ; ils modèlent leur gouvernement sur les besoins et les ressources du pays. L’administration civile, c’est une « confection » rafistolée à la taille du client ; celle des militaires, voilà l’habit sur mesure. Seuls, ils ont su, en chaque pays, distinguer les races, les respecter, et laisser à chacun ses vieux usages, ses anciens maîtres. Ils ont su diviser pour régner ; d’autres ont uni pour être haïs, désobéis. Ajoutez à cela l’attrait du nouveau : ces soldats semblent éprouver une joie d’artistes à tirer d’un pays ses ressources latentes.

C’est donc à ces chefs militaires que nous devons notre Soudan avant que des civils, comme M. Delcassé, aient compris, puis aidé et souvent enfin dirigé leurs efforts.

En 1879, le colonel Brière de l’Isle fonde Bafoulabé, le Conflans du Sénégal. En 1883, nous sommes à Bammako sur le Niger, à 1 580 kilomètres de Saint-Louis. De là les colonels Frey, Galliéni, Archinard, Combes, Bonnier rayonnent vers les Rivières du sud à travers le Fouta-Dialon, vers le moyen Niger. Les Anglais arment Samory, malgré l’acte de Berlin[1]. On l’isole de Sierra-Leone, de Libéria ; il viole les traités qu’il a signés avec nous ; le voilà hors de ses États, il fuit à l’est ; la Côte d’Ivoire est liée au Soudan.

Ahmadou l’a imité ; il perd ses États de Ségou, du Kaarta ; l’empire toucouleur est détruit. 1890 nous a vus à Ségou, 1893 à Dienné, Mopti. Le moyen Niger est à nous jusqu’à Tombouctou ; le meurtre de l’enseigne Aube y fait entrer le lieutenant Boiteux et, en 1894, le colonel Bonnier. Sur la rive droite du fleuve, Sikaso nous obéit dès 1889, grâce à M. Binger qui, dans son grand voyage, trace la route future de nos colonnes.

  1. Peut-on s’en étonner, quand des Anglais armen., paraît-il, les insurgés de la frontière de l’Inde ?