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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/398

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ce Paris agité, généreux et puissant, s’éleva et demeure, invulnérable et protectrice, la plus fière, la plus pure, la plus significative cathédrale, sinon la plus grande. Notre-Dame est peut-être le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre gothiques et Notre-Dame est le cœur de Paris, ce grand cœur du monde moderne. Le génie national, dégagé des leçons antiques que gardait encore le style roman, a trouvé pour un temps sa libre formule, et pendant trois siècles, à Paris, à Amiens, à Chartres, à Bourges, à Reims, à Beauvais, enfante des œuvres immenses et symboliques, temples vraiment vivans qui, « sous leur robe de pierre », se souviennent de la Forêt. Chateaubriand a dit des cathédrales : « Les forêts des Gaules ont passé dans les temples de nos pères, et nos bois de chêne ont ainsi maintenu leur origine sacrée. Ces voûtes ciselées en feuillage, ces jambages qui appuient les murs et finissent brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des voûtes, les ténèbres du sanctuaire, les allées obscures, les passages secrets, les portes abaissées : tout retrace le labyrinthe des bois dans les églises gothiques ; tout fait ressortir la religieuse horreur, les mystères et la divinité[1]. »

Ainsi l’ogive, à ses trois périodes, et sous ses trois formes sera, dans toutes les constructions, le principe générateur de tous les vides, la forme-type de la construction chrétienne, tant que la religion des foules restera passionnée, ardente et mystique. Simple et fine, avec une jeune naïveté dans sa pointe en lancette et ses trèfles symboliques au XIIIe siècle, amincie et plus sèche, plus frêle aussi, elle rayonnera à travers les pinacles et les croisées pendant tout le XIVe, jusqu’à ce qu’elle finisse au XVe, dans un flamboiement merveilleux, dans un presque impossible équilibre, comme si les dernières flammes d’un feu mourant, courant à travers les niches, les roses et les aiguilles, venaient lécher les murs des cathédrales affolées. Et l’antique raison, déterrée un beau jour du sol endormi de l’Italie, éteindra sous son onde claire ce bel incendie mystique.

La Renaissance, en ce sens, fut proprement un mouvement réaliste. Le hasard d’une découverte imprévue de monumens anciens dans les fouilles, à la fin du XVe siècle, l’étude, meilleure aussi, faite par des architectes et les sculpteurs de Pise et de Rome, des édifices restés toujours debout en Italie, le subit exode des artistes

  1. Génie du Christianisme.