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Il faut reconnaître d’ailleurs que Lalligand joua, en grand artiste, son double rôle. Il commença par questionner Chévetel, à qui il demanda, sans rire, son nom et sa profession ; le juge de paix Chartier semble n’avoir rien compris à la comédie : il consigna dans son procès-verbal la réponse de Chévetel, sans s’étonner que l’interrogatoire ne fût pas poussé plus avant ; Lalligand, très adroitement d’ailleurs, se montra, tout d’abord, aussi réservé à l’égard des autres prévenus : il leur posa quelques questions sur l’évasion de Desilles, sur leurs relations avec la Rouerie, et sur le dépôt de ses papiers dont ils affirmèrent n’avoir aucune connaissance, Tous déclarent unanimement « vouloir être présens aux perquisitions qui vont avoir lieu ». Cette formalité remplie, on se met à table, on dîne, et vers deux heures et demie, les fouilles commencent.

Cinq paysans, armés de pioches et de pelles, reçoivent l’ordre d’ouvrir une tranchée dans le premier carré du parterre : les recherches poussées rapidement et « pour la forme » puisque Lalligand connaissait d’avance l’emplacement exact de la cachette, ne donnaient, naturellement, aucun résultat. Les ouvriers attaquèrent le second carré, puis le troisième et le quatrième : déjà les dames Desilles et leur oncle de Limoëlan qui, pendant les fouilles, avaient obtenu la permission de se promener dans le jardin, reprenaient confiance ; une perquisition aussi superficielle n’était pas de nature à les inquiéter. Tous quatre allaient et venaient sous les arbres, en compagnie de Chévetel, causant avec les travailleurs, et se félicitant déjà du dénouement de l’aventure. Vers cinq heures du soir, cependant, voyant le jour finir, Lalligand donna l’ordre de creuser le sixième carré ; après quelques minutes de travail « le citoyen Bernard, gendarme, crut apercevoir du verre ; sur son observation, le citoyen Germain Ravaleux, gardé national du détachement, s’étant précipité dans la fosse pour s’en assurer, leva la terre avec la main, et mit le cul de la bouteille à découvert. » Les recherches furent immédiatement interrompues : avec mille précautions on sortit le bocal de la fosse : c’était un vase de verre jaune, à large goulot, haut de 10 pouces sur 4 et demi de diamètre, fermé d’un épais bouchon de liège scellé au moyen d’une couche de résine.

Lalligand fit rentrer tous les prévenus dans le château, s’installa dans la salle du rez-de-chaussée, et aussitôt les interrogatoires commencèrent. Tout d’abord comparurent les dames de Virel,